Chasse de Giganto 022 : Esprit farceur (Terminée)

Une mission simple. Trop simple pour son niveau. Mais qu’importe, n’est-ce pas? Servir les citoyens n’était-il pas au cœur de tout exorciste qui se doit? Peu importe les politiques?

Une leçon à retenir, malheureusement.

Mais Jade savait se tenir à la loi, n’est-ce pas? Il était peut-être enfoncé trop loin dans la politique, mais il avait encore le cœur à servir les citoyens. Ironique : il n’avait justement pas de cœur.

― « Quelle est la situation? »
― « Un esprit maléfique crée des incendies dans la ferme de Palmacosta. D’après les rapports, il n’est pas si puissant que cela. »
― « Quel est le problème? »
― « Il est trop rapide pour nos guerriers. Il ne semble pas vraiment matériel non plus… »
― « Alors il faut un mage. Parfait. »

Parfait, en effet. Quand il était jeune, il était capable d’artes démesurés à rendre n’importe quel elfe jaloux. Cela faisait longtemps de cela. Maintenant, il n’osait pas invoquer les pluies torrentielles qu’il pouvait générer dans le temps.

― « Il semblerait que le rapport était incomplet… » se dit-il à lui-même en voyant l’esprit maléfique flotter dans le ciel. Une flamme maléfique. Il leur fallait un magicien capable de contrôler l’eau. Lui, tout ce qu’il pouvait faire, c’était des explosions. Les deamons étaient faibles contre la lumière, mais le feu ne l’était, de manière générale, pas. Il soupira.

― « Bon, eh bien, tant pis. »

Gardant ses distances, il traqua l’esprit enflammé à l’intérieur de la bâtisse. Une autre erreur politique… mais Jade en avait déjà assez avec Tesseha’lla et Heldalf. Il allait s’occuper des expériences dans cette ferme un autre jour.

Ce qui était bien avec le sous-sol de ce bâtiment, c’était qu’il était en métal. Le feu pouvait peut-être faire fondre le métal, mais cela demandait une bonne quantité d’énergie. Donc, ne pas se concentrer à se faire pourchasser par un vieillard dont les os craquaient de tout bord et tout côté. Enfin, c’était pour les caméras ça; tout seul, Jade ne perdait pas son temps à jouer ce jeu. Pas de sourire pour les murs.

Coincé dans une salle vide, l’esprit ne pouvait faire grand-chose. Rien à enflammer, quel dommage! Barrant la porte derrière lui, Jade fit face à l’esprit maléfique avec un air sombre, les mains croisées dans son dos. Osait-il invoquer ses anciens artes d’eau? Non. C’était trop dangereux. Pas avec un esprit maléfique. Certes, c’était un esprit mineur… il était peut-être malveillant, mais il faudrait vraiment une recrue complètement innocente pour perdre la tête contre un lutin de feu.

L’esprit frappait contre les murs, comme s’il cherchait à s’enfuir. Il devait bien sentir qu’il s’était fait prendre au piège. Jade en aurait presque sourit, mais ainsi isolé, il perdait toute bonne humeur. Il comprenait le rapport qu’on lui avait fait; l’esprit virevoltait de gauche à droite. Même si avec un Photon, il pourrait le faire exploser, le problème était d’avoir le bon timing. Une cible plus grosse et plus lente était facile à éliminer, mais celle-ci allait certainement lui faire perdre son temps. Peut-être même qu’avec ses anciens artes d’eau, il n’aurait pas réussi à l’atteindre. Ah, quelle plaie!

Le praetor leva la main, prêt à faire un essai, lorsqu’il fronça des sourcils. Son arte était visible. C’était ça son point faible. Il pouvait très bien générer une grosse sphère, l’esprit le verrait et l’éviterait. Certes, il pouvait jouer sur le fait que si l’esprit était assez stupide pour se faire prendre au piège ainsi, il devait être certainement être assez crétin pour foncer à travers une boule de lumière, mais Jade préféra en douter. Alors il restait quoi comme option?

La solution n’était pas optimale, mais elle allait devoir faire l’affaire. Au lieu de lancer son arte à son plein potentiel, Jade allait devoir déclencher de petites explosions à gauche et à droite, de façon à réduire la durée de l’incantation à son minimum. Cela devenait alors un exercice; est-ce que notre pauvre vieil homme avait d’assez bons réflexes pour pouvoir atteindre sa cible à chaque coup, ou allait-il drainer ses ressources en tentant d’exorciser un vulgaire deamon, condamné à pourrir dans une salle oubliée d’une ferme douteuse?

Ah, il y avait personne à pester ici.

D’un claquement des doigts, Jade déclencha une petite explosion sur l’esprit farceur, l’arrêtant dans son vol. Le praetor en profita aussitôt pour reprendre ses incantations, créant une charge plus grosse. L’esprit se le prit à nouveau en pleine figure, mais se reprit bien plus vite, comme s’il comprenait ce qui se passait. Le mage invoqua sa lance pour pouvoir bloquer l’esprit, qui se portait maintenant agressif envers lui.

Ce qui était bien avec cette arme, c’est qu’il pouvait forcer une distance entre lui et ses ennemis. Bien qu’il ne s’agissait qu’une boule de flammes, l’esprit semblait assez matériel pour avoir peur de son arme. Le monstre essayait de foncer sur lui, mais lorsque Jade pointait son arme vers lui, l’esprit reculait. Le magicien n’arrivait pas à toucher l’esprit, bien trop agile pour un humain, et constatait qu’il allait y passer des heures s’il continuait ainsi. L’esprit ne le lâchait pas, frénétique, mais à force à essayer de se défendre et de le repousser, Jade comprenait que sa stratégie allait l’amener à sa perte.

Grâce à sa lance, il se propulsa vers l’avant, esquivant une des charges de l’esprit, puis leva la main pour charger son arte, sans se retourner. L’esprit fonçait vers lui, comme s’il y voyait une chance de l’atteindre, puisque le magicien lui tournait dos. L’arte du mage fut chargé juste à temps pour que l’esprit se le prenne de plein fouet, assommant les deux combattants. En effet, Jade avait dû prendre quelques risques et invoquer son arte juste derrière lui, au risque de se prendre un dur coup. Tout de même, avec toutes ses expériences dans sa jeunesse, Jade était habitué à sa magie. Il s’était bâti une bonne résistance à la magie avec le temps.

Et c’est là qu’il réalisa que l’esprit, par sa nature, était lui aussi résistant à la magie.

Il se releva, puis esquiva à la dernière seconde une nouvelle charge de l’esprit. Quelle chaleur! Quelle chance que cet esprit n’invoquait pas de magie, songeait-il. Non, faux; si cet esprit pouvait réciter quelques incantations, cela aurait donné la chance au praetor de l’attaquer. Tant pis… il fallait improviser un autre plan.

Replaçant ses lunettes, il considéra l’esprit qui en faisait de même avec lui. Il fallait croire qu’à force de foncer à gauche et à droite, le deamon se fatiguait. Les deamons ressentaient-ils la fatigue? Il lui semblait, dans sa carrière d’exorciste, que les deamons ne s’arrêtaient qu’avec la mort. Était-ce différent avec les esprits? N’avaient-ils pas cet avantage d’une adrénaline infinie causée par la malveillance? Ou s’était-il trompé…?

Qu’importe.

Il n’y avait qu’un moyen d’achever cet esprit, n’est-ce pas?

On ne combattait pas le feu par le feu, mais par l’eau. L’arrêt de l’alimentation de l’oxygène. Oh, certes, il pourrait tout bêtement mourir dans cette pièce avec cet esprit, attendre que les flammes puisent tout l’oxygène de la pièce et s’asphyxier avec le deamon, tel un pauvre martyr, un véritable sacrifice héroïque digne d’un exorciste. Ce serait une excellente légende pour l’armée, une histoire qu’Artorius répéterait ad æternam, mais ce n’était pas vraiment ce que leur leader divin voulait, n’est-ce pas? Son meilleur praetor, digne d’être un Legate, mort pathétiquement dans une pièce contre un esprit quelconque. Son histoire ne pouvait pas se terminer ici, c’était bien trop ennuyeux comme fin.

Jade ralentit la cadence, non pas par épuisement, contrairement à l’esprit, mais par ennui. L’esprit semblait fatigué, incapable de prendre une décision rationnelle, s’agitant plutôt sur place. Il semblait comprendre qu’il n’allait jamais gagner contre le praetor, et espérait plutôt trouver un moyen de s’échapper… mais c’était déjà établit que la fuite lui serait impossible. Ah… il semblerait bien qu’il était temps de l’achever, après tout ce temps. Montrer un peu de pitié. Être humain, n’est-ce pas? Montrer de l’empathie? Jade n’a jamais vraiment été doué pour ce genre de choses.

Il tendit la main vers l’esprit, mais ses doigts se détendirent. Non. Jade n’a jamais été doué pour jouer aux humains. Ç’a toujours été ça, pour lui. Un jeu. Faire semblant d’avoir des émotions, de se faire du souci pour les autres. Des fois, cela fonctionnait. Les étrangers qui vous prenaient toujours au sérieux, s’attendant à voir un homme vrai, ils étaient facilement impressionnable. Pour les autres, c’était qu’un jeu sarcastique, méchant. Trouver la meilleure façon d’extraire une réaction extraordinaire des autres. Il n’y avait eu qu’une seule personne qui n’embarquait jamais dans son jeu ― ou pire, qui jouait de la même façon que lui.

― « Professeure… »

Elle avait tellement cru en lui, n’est-ce pas? Et il avait tellement échoué. Il l’avait tué de ses propres artes. Son sang n’a jamais été sur ses mains, mais il allait toujours le ressentir.

Des artes trop poussés pour lui. Il lui aurait fait la fierté de sa vie s’il avait réussi. À la place, il lui avait pris la vie. Quel monstre qu’il était. Mais c’était normal, non? Jade avait toujours été un monstre.

Le praetor resserra ses doigts en un poing ferme, à un point où ses joints devenaient blancs. Quatre cercles se dessinèrent autour de l’esprit, inconscient de ce qui se passait. Ce n’était pas l’arte qui avait tué son professeur, mais c’était un arte qu’il avait développé à cette époque. Peut-être aurait-il dû exécuter celui-là au lieu de celui qu’il avait fait, cette journée-là.

L’esprit leva les yeux, réalisant qu’une énergie se formait par-dessus lui, tel un courant d’air. Le temps qu’il comprenne ce qui se passait, les cercles jaillirent en des cascades d’eau, non seulement l’aspergeant, étouffant ses flammes, mais la violence des courants d’eau le propulsant au sol.

Le praetor en profita aussitôt pour répéter l’arte qu’il avait tenté, il y avait tant d’années. Il tourna la main pour que sa paume pointe vers le haut, ses doigts toujours resserrés, puis il les ouvrit grands, ses yeux dévisageant sa victime avec une intensité relevant de la manie. Le plancher se fissura, des pics de terre en jaillissant, recouvrant l’esprit. Le deamon était encore sonné, et il ne sut réagir lorsque la terre se replia sur lui, l’étouffant effectivement, l’asphyxiant, lui donnant la mort tant souhaitée.

Mission accomplie.

Jade soupira.

Tant d’années qu’il n’avait pas tenté ces artes… et voilà qui les maîtrisait à perfection. Comment son arrogance avait-elle bien pu tuer sa chère professeure? Elle aurait pu être en vie après tout ce temps. Elle n’était pas obligée de mourir. Et naturellement, il avait vu trop grand. Trop loin.

Et Artorius le pardonnait.

C’était ça, l’échec de l’humanité. Les guerres, la malveillance, Heldalf. C’était de l’arrogance pure et dure. C’était comme ça que les humains mourraient. Et pourtant, Artorius l’accueillait à bras grands ouverts, comme s’il était un cher ami.

― « Il n’y a pas d’espoir pour les gens comme nous, Arthur… » marmonna-t-il, à personne en particulier.

Bref, il était temps de retourner au QG. Tant d’incompétence à régler. Qu’est-ce qu’il était difficile d’être Jade Curtiss!