緋の夜 [Privé] (Terminé)

Des liquides coulaient le bas de son dos, mais il n’aurait pu dire l’origine. Venaient-ils de lui ou de ses victimes? Était-ce du sang ou de la sueur? Peut-être même de la neige fondante? Tout ce qu’il savait, c’était que son corps était trempé, son kimono souillé, et le sommet de la montagne n’était pas dans un état différent du sien. Non pas seulement parce qu’il se tenait si près du cratère, où la lave agitée bouillonnait, mais aussi parce que tous les cadavres des deamons qu’il avait tué répandait tout leur sang chaud, rendant presque le terrain impraticable. Il devait se battre dans de la boue ensanglantée. C’était un défi. Une tâche qui n’allait pas empêcher de gagner. Qui allait pouvoir surmonter.

Il devait pouvoir gagner dans toutes les circonstances.

Cela faisait quelques heures déjà qu’il tuait sans répit, avec un acharnement maladif, obsessif, qui ne pouvait être expliqué que par la lune rouge. Au sommet ainsi, avec les flammes des enfers à quelques mètres de son dos, il ne voyait que du feu. Et maintenant, il n’y avait plus rien à tuer. Il avait tout tué. Tous les deamons. Tous les fous qui avaient osé croire qu’ils pouvaient vaincre un yaksha. Ils avaient tous perdus. Il était l’unique vainqueur. Et pourtant… ce n’était pas assez. Il savait que si Shigure était ici, il perdrait. Pire que ça; Shigure aurait été à son clair désavantage, alors que lui, amplifié par cette lune maléfique, par toute la malveillance sur le flanc, aurait une puissance unique à ce moment-ci seulement de sa vie. Une puissance artificielle. Une tromperie. Une déloyauté.

Dégoûtant.

Il allait ranger son katana lorsqu’il aperçut enfin au loin un adversaire. Un humain. Mais pas un simple humain. Cet homme lui faisait penser à Shigure. Non pas à cause de son daï-katana ― son arme était bien plus longue que les katanas traditionnels des Rangetsu… ― mais par son regard. C’était… C’était même plus que Shigure. Cet homme ressemblait à quoi ce que Rokurou avait toujours voulu être. Un samouraï noble, preux, chevalier, juste, déterminé.
Rokurou avait toujours détesté Shigure pour ce qu’il était devenu. Il détestait comment son frère ne prenait rien au sérieux. Comment il avait tout eu trop facile, et que tout n’était qu’un jeu. Pendant que lui s’acharnait à devenir le meilleur, Shigure rigolait, s’amusait, prenait tout à la légère.
C’était grâce à ça qu’il avait pu ternir son nom aussi facilement. Parce que plus personne ne le prenait au sérieux.

Rokurou rebaissa lentement son bras, tandis que son adversaire faisait le contraire. Cet homme n’avait pas peur de se salir. Il y avait quelque chose de très noble dans son image, et le sang noir qui recouvrait ses vêtements détonnait sur la noblesse de sa personne. Ce qui ne faisait qu’accentuer la détermination de son regard. Cet homme n’avait peur de rien. Cet homme n’allait s’arrêter à rien. Cet homme allait le battre d’égal à égal. Cet homme allait tester sa puissance. Cet homme était ce que Rokurou cherchait.
Et il ne serait pas surpris si cet homme le cherchait lui aussi.

Ils n’eurent besoin de mots. Un simple regard leur suffisait pour réclamer et acquiescer ce duel.

Rokurou bondit dans les airs, katana dans la paume de ses deux mains, bien droit. L’homme ne fléchit même pas. Il para le coup de sa gigantesque lame mauve, parfaitement affilée malgré tous les deamons qu’il avait tué. Il repoussa Rokurou sans le moindre effort. Excellent. C’était exactement comme se battre contre son frère. Enfin un vrai défi.

Et malgré toute la malveillance qui se dégageait de lui, malgré toute l’obsession tangible de son corps, ses yeux maladifs, l’homme ne fléchissait pas. Digne d’un exorciste. Et pourtant, cet homme n’en était pas un.
Qui était-il?
Rokurou était rarement curieux de ses adversaires, mais il savait qu’il n’y aurait pas de gagnants dans ce duel. Il allait devoir connaître l’identité de cet homme. Il devait le rencontrer à nouveau.

L’homme dégageait une aura, un chi immesurable, un feu d’esprit tel qu’il ne l’avait jamais vu. Même Shigure avait besoin de leçons de cet homme. Il n’avait jamais vu une force physique se manifester ainsi, par une simple aura, une simple présence. Il ne pouvait s’imaginer comment les deamons qu’il avait tués avaient dû ressentir pour la première fois depuis leur transformation la peur. Mais Rokurou n’était pas un lâche. Tout cela… ça l’excitait au plus haut point…

La portée du daï-katana de cet homme était immense. Jamais Rokurou n’avait vu un homme manier une arme aussi longue. C’était tout à fait nouveau pour lui d’apprendre à danser avec une telle arme. Pendant un moment, il songea à changer d’armes, à utiliser ses dagues, les dagues avec lesquelles il s’était juré d’achever Shigure, mais quelque chose lui disait que cet homme allait refuser un tel combat. Quelque chose lui disait que même si Rokurou était un deamon, il voulait le combat le plus honnête possible. Le plus loyal possible. Et ça, le samouraï le respectait. Et c’était par ce même respect mutuel qui continuait à utiliser son Stormhowl.

Avec une telle arme, Rokurou s’était attendu à pouvoir obtenir l’avantage en utilisant son agilité naturelle. Une telle longueur ne pouvait être facile à manipuler, la gravité et la force du mouvement devant forcément l’empêcher de changer la direction de ses coups. Et pourtant, il eu tort; cet homme était bien plus agile et habile qu’il ne l’aurait cru. Cet homme avait visiblement beaucoup d’expérience avec sa lame. Beaucoup plus d’années d’expérience que Rokurou lui-même. En temps normal, il lui aurait demandé d’être son sensei. S’il avait été encore un humain, il se serait mis sous son service. Il en aurait fait de lui son unique lord. Mais Rokurou était maintenant un deamon. Et un homme comme lui, ça ne devait pas tolérer les deamons. Sinon, il ne baladerait pas ici. Pas cette nuit. Les humains qui traînaient par ici, ils étaient là pour faire la chasse aux deamons.

Tout être qui avait encore sa raison était ici pour chasser les deamons.

Ses hommes n’étaient pas au courant. Il était convaincu que Rowen et la Chimeriad devaient sur la montagne, inquiets comme ils l’étaient toujours, mais sa présence ici ne serait, au final, que légende. Comme toujours, des rumeurs allaient courir, être glorifiées, exagérées, louées, mais au final, ce qui allait compter, c’était que Hellawes dorme en paix cette nuit. Les murs de la ville étaient barrés, les soldats étaient garnis à l’intérieur, aucun des habitants ne craignait pour sa vie, et l’armée avait pour ordre de se tenir loin de la montagne.

Mais le roi était une armée à part. Il était une armée à lui seul. Et il se donnait ses propres ordres.

Les deamons étaient naturellement bien plus forts qu’à la norme. Ce n’était pas cette bataille sur les champs. Les apparences étaient trompeuses. Même les monstres les plus maigres, les plus frêles étaient dangereux pour ses citoyens. Heureusement, il était assez fort pour les vaincre. Il était assez déterminé pour ne pas lâcher prise. De toute façon… la plupart de ces deamons semblaient avoir perdu la raison. Il ne comprenait pas vraiment ce que cette lune écarlate avait comme effet sur eux, mais ce n’était pas à prendre à la légère. C’était bien pour cela qu’il était ici, d’ailleurs… Pour contenir cette folie.

Malheureusement, malgré tous ses avertissements, malgré toutes les précautions qu’ils avaient pris, malgré tout ce qu’ils avaient fait, plein d’hommes se trouvaient ici et perdaient la vie. Gaius avait réussi à en sauver quelques-uns, sans leur faire la morale, mais il était arrivé trop tard pour beaucoup trop d’entre eux. Chaque humain mort qu’il rencontrait était un couteau dans son cœur, mais il ne fléchissait pas. Il ne pouvait pas. Il y avait encore tant de deamons à exterminer… Tant de victimes potentielles… Tant que la lune allait briller, il n’allait pas s’arrêter. Tant que son peuple était en danger, il allait continuer. Il ne pouvait pas se permettre le moindre répit.

Après des heures de massacre, les muscles en feu, la chevelure collée par la sueur et le sang à son cou, il avait réussi à grimper jusqu’au sommet du mont Killaraus. Et à sa grande surprise… Il ne vit qu’un champ de cadavres. Une vision fort similaire à celle des champs enneigés après l’assaut de Heldalf. Et pourtant… Ce n’était pas du tout ce à quoi il s’attendait à voir.

Un homme s’y tenait. Un homme qui avait toujours sa raison. Un deamon. Il pouvait le voir à son aura de malveillance. Et pourtant, ce deamon n’avait rien à voir avec les autres. Gaius ne pouvait expliquer sa présence. Ce deamon avait un esprit noble, mais il lui était évident qu’il n’était pas ici pour protéger quelqu’un. Il était ici pour son propre égo. Pour devenir meilleur. Le plus fort. Il était ici pour chercher un adversaire. Et pourtant, Gaius savait que cet homme n’était pas déloyal. En temps normal, cet homme aurait pu faire un excellent soldat. Il aurait pu être un égal à Wingul. Il aurait même pu faire part de sa Chimeriad. Il en aurait plus que la place… Le talent de cet homme était égal à Wingul. Il lui aurait fait un excellent rival. Il aurait même pu faire un bon rival pour lui-même.

Mais aujourd’hui, cet homme était assoiffé de combat. Pas de sang. Juste de combat. Et combat Gaius allait livrer.

Le yaksha bondit dans les airs sans aucune hésitation, et Gaius para son coup pareillement. Le roi sentit l’étonnement chez le jeune deamon. Clairement, il n’avait pas pu relever un tel duel depuis des années. Le massacre qu’il avait causé sur cette montagne n’avait aucunement affilé ses talents. Gaius devina que ce deamon était ici pour s’entraîner, pour devenir plus fort. Belle tentative, mais… ce n’était pas comme ça qu’il allait s’améliorer. C’était contre lui qui allait apprendre de quoi.

Le roi saisit rapidement qu’aucun d’entre eux n’allait gagner. C’était un duel à reprendre ― quand ils seraient dans leur état normal. Lui, reposé, frais et dispo, le deamon, en pleine fonction de ses capacités, de sa cohérence. Il était limite au bord de la folie, il avait presque perdu la raison, mais il y avait encore quelque chose qui retenait son côté humain, qui l’empêchait de devenir un monstre, et Gaius devait tout faire pour garder cette balance impeccable. Si elle devait pencher juste un peu trop loin…

Heureusement pour le roi, le deamon n’était pas aussi expérimenté qu’il semblait le croire. Chacune des attaques du roi arrachait de la surprise de la part de son adversaire. Même l’arme qu’il utilisait semblait trop gauchère en ses mains. Comme s’il n’y était pas habitué. Comme si cela faisait des années qu’il s’entraînait avec une autre arme, et qu’il se forçait à explorer un nouveau style. Hum… Ce deamon semblait s’être imposé un style, ou peut-être s’en était-il fait imposer un, et celui-ci lui correspondait pas. Il se cherchait encore. Il était près du but, mais ça n’y était pas encore. Il n’était pas complètement malhabile au katana, il avait du potentiel, mais il y avait quelque chose qui clochait, et même Gaius ne pouvait pas expliquer ce que c’était. Par contre… il lui sembla que ce deamon ne comprenait pas qu’il y avait un défaut dans son style. Il semblait plutôt têtu; comme s’il croyait qu’avec persévérance, qu’avec acharnement, il pouvait tout vaincre. Cela n’était pas faux en soit… mais cela le désavantageait grandement. Il gâchait tout son potentiel ainsi. Si seulement il pouvait ouvrir son esprit sur d’autres styles, il pourrait…

Ah, mais il n’était pas ici pour faire du mentorat. C’était un duel, et il ne devait pas le prendre à la légère.
Surtout pas contre un deamon aussi têtu que celui-là. Aussi obsédé.

Quelque chose changeait en lui. Son aura s’amplifiait. Mais Gaius ne croyait pas que cela était dû à la lune. Cette malveillance semblait interne, profondément ancrée en lui, « naturelle » si c’était même possible. Son obsession devenait de plus en plus lourde, son désir ardant de gagner contre lui prenait possession de sa logique, et donc de ses capacités de combat.

Contre un homme normal, il aurait gagné. Contre un homme comme lui, il ne pourrait jamais remporter le combat. Et cela ne faisait qu’empirer les choses.

Et pourtant, il n’était pas le seul à exhiber son aura ainsi. Gaius aussi avait une aura déterminée, qui ne fléchissait pas, qui empilait sur l’autre. Au final, leur combat n’était pas leurs lames s’entrechoquant, mais plutôt leurs esprits. Leur prestance. Et Gaius gagnait à ce niveau. Ce deamon devenait peut-être de plus en plus fort, mais jamais il n’allait pouvoir gagner face à sa personne, face à son caractère. Ce yaksha était encore trop faible pour pouvoir espérer prendre sa place sur ce genre de territoire.

Mais… Gaius devait saluer la détermination du samouraï. De toute évidence, cet homme voyait qu’il ne gagnait pas. Et pourtant, il ne lâchait pas. Il se battait jusqu’au bout. Il se donnait à fond. Et ça, c’était quelque chose qui n’était pas donné à tous. C’était une discipline que peu de gens avait réussi à développer, et si tous ses hommes pouvaient être comme lui, alors Gaius n’aurait plus jamais peur de Heldalf. Il rassemblerait son peuple entier derrière lui, et il vaincrait tout ennemi.

Quel dommage qu’il était un deamon.

Malgré sa colère, malgré son obsession, malgré son désespoir, Rokurou n’y arrivait pas. Cet homme était au-dessus de lui, tout comme Shigure. Et il était trop enragé, trop pris par sa malveillance pour comprendre la situation. Il perdait peu à peu la raison, il sombrait dans une folie similaire à son dernier combat contre Shigure, là où cette malak lui avait donné plus de pouvoirs, et combiné à la lune écarlate, il n’avait plus aucune chaîne qui le retenait. Il perdait peu à peu le sens de la réalité, devenant complètement obsédé par cet homme. Bientôt, il n’allait même plus se rendre compte qu’il se battait contre un humain.

Les marques sur son corps se répandaient sur tout son bras et son torse, et la malveillance de son œil donnait un pouls à ses veines deamoniaques. Ses yeux ne lâchaient plus son adversaire, qui lui ne perdait aucune détermination. Son visage restait complètement de marbre, prêt à subir toute colère, tout déchaînement, prêt à sacrifier sa vie, infatigable, intuable, increvable. Malgré tout le chi que Rokurou reformait en flammes, malgré tous les coups incessants qu’il déferlait, ce guerrier restait impassible, son esprit ne fléchissait jamais, complètement déterminé à ne pas le laisser gagner.

Comment!? Comment était-ce possible!? Comment il pouvait avoir autant de prestance!?
S’il ne pouvait pas gagner contre lui… jamais il ne pourrait gagner contre Shigure.

Il ne comprenait tout simplement pas. C’était contre logique ― et dans l’état qu’il était, la logique avait pris le camp depuis fort longtemps. Une lame aussi longue ne pouvait être aussi agile. C’était son katana son problème, n’est-ce pas? Le samouraï jeta son Stormhowl vers son adversaire, celui-ci filant à travers l’air comme une flèche, et malgré le projectile imposant qu’il était devenu, l’humain le dévia d’un simple revers de son arme, aucunement affecté par cette menace. Il n’était pas humain. Il était pire qu’un deamon!

Rokurou saisit ses dagues, convaincu qu’il avait enfin là la solution, mais tout comme Shigure, il se faisait battre à pleine couture. Malgré le fait qu’il avait deux lames, minces, rapides, bien plus faciles à manipuler que ce katana gigantesque, cet homme parait tous les coups comme si de rien était. Il ne semblait même pas perdre d’haleine. Rokurou n’était pas à court de souffle non plus. Il était tout simplement à court d’esprit. Et ce n’était pas comme si la présence de Velvet l’aurait aidé… elle aussi, elle aurait perdue la tête face à cet homme. S’il avait eu encore sa tête, il aurait eu une pensée pour elle, il se serait senti inquiet pour elle, il se serait demandé si elle résistait à la lune écarlate, ou s’il allait devait l’affronter au matin pour qu’elle reprenne ses esprits, mais maintenant, il ne pensait même plus à survivre la nuit. Il ne pensait même plus à conserver cette once d’humanité qui le gardait de devenir un Giganto. Et dire que la raison pour laquelle il s’était séparé d’elle, c’était justement pour pas qu’ils perdent tous les deux la tête ensemble. Pour pas qu’ils s’entretuent dans leur folie individuelle. Trop de malveillance était néfaste pour tout le monde.

Sauf cet homme!

― « Rââââââââââââââââââh! » hurla-t-il, alors qu’il se déchaînait complètement sur le guerrier, qui bloquait tous ses coups sans que son expression ne change. Son impassibilité le rendait fou. Cela l’enrageait tout autant que les sourires incessants de son frère, qui faisait joujou dans ces duels. Shigure qui ne prenait rien au sérieux. Cet homme qui n’était aucunement affecté par lui. Non mais portez lui un peu d’attention! Donnez-y un peu de reconnaissance! Il n’était pas un bon à rien, bordel! Il était capable de faire de quoi! Il était un guerrier au même titre qu’eux! Ne voyaient-ils pas tous les deamons qu’il avait tués? Ne voyaient-ils pas tout son talent!? Il n’était pas rien! Il était capable! Il était un épéiste! Il était un yaksha!

Soudainement, l’humain lui assena un énorme coup, que Rokurou ne sut dire si la puissance venait de ses bras ou de son chi, et le samouraï fut projeté sur des kilomètres, glissant dans toute la neige fondante, dans tout le sang sur plusieurs mètres, ses dagues projetées encore plus loin.

Sa défaite totale lui fit reprendre toute raison.
Mais son obsession n’allait jamais disparaître.

Incroyable…! Même après avoir subi un tel coup, il ne lâchait pas! Quelle détermination! C’était un véritable dommage qu’il était aussi pris par son obsession, au point à en devenir fou! S’il avait eu un guide, une ancre, il aurait pu devenir un guerrier de légende, un homme de renommée, une icône pour tant de gens! Qu’est-ce qu’il aurait aimé être là, la journée où cet homme fut transformé en deamon. C’était peut-être un peu prétentieux d’y songer, mais Gaius était sûr qu’il aurait pu diriger ce jeune sur le droit chemin. Quelque chose lui disait que lorsque Gaius avait dirigé ses hommes pour réunir Hellawes, s’il avait eu ce jeune homme dans son armée… Même s’il avait été un enfant têtu, un adolescent qui se croyait invincible, il l’aurait pu le former en un chevalier de prestige.

Contre un humain normal, il aurait gagné. Contre les deamons sur cette montagne pendant cette nuit, il n’y avait aucun adversaire à sa taille. Peut-être même que les deamons eux-mêmes, les monstres, les Gigantos, auraient tous pris la fuite devant la forme que cet homme prenait. Son aura était imposante. Écrasante. Aucun de ses hommes n’y aurait survécu. Même son cercle interne, il n’aurait pu se les imaginer devant lui. Cette… forme… cette détermination qui se confondait avec son obsession… Même un exorciste en serait terrorisé. Il pouvait comprendre pourquoi Artorius et Sylvarant jurait une telle guerre envers ces créatures. Quel effet terrible qu’avait cette lune! Et encore là… Était-ce vraiment l’effet de la lune, ou était-ce l’esprit du deamon qui le rendait aussi horrifiant?

Par chance, Gaius n’était pas un homme ordinaire. Il en avait la preuve dans son cœur. Celsius ne l’aurait jamais fait confiance s’il n’avait pas été pur du cœur, pur d’esprit. Celsius ne se serait jamais fiée à lui pour se tenir seul sur cette montagne. Parmi toute cette malveillance tangible, épaisse, qui se mélangeait aux lueurs du volcan et de la nuit rouge, de tout ce brouillard de sang, il se tenait impassible, inébranlable, et vainqueur. Face à un ennemi qui aurait pu terrasser Hellawes entier à lui seul.

― « J’admire ta persévérance, jeune guerrier. Tu es téméraire, mais tes qualités sont redevables. Je serai fier d’avoir un homme comme toi sous mon commandement. Beaucoup de mes hommes te feraient honneur en te prenant comme modèle. Mais tu dois calmer ta fureur, yaksha. C’est avec un esprit calme et posé qu’on vainque les meilleurs. » Tenant son épée d’une main qu’il pointa vers le deamon, il le dévisagea de ses yeux rouges impassibles, son visage de fer ne montrant aucun signe d’intimidation. Car il ne l’était pas. Il était impressionné par la puissance brute que ce jeune homme affichait, mais il savait qu’il n’allait pas perdre. Il n’allait pas pouvoir le tuer, et… il ne le voulait pas. Pousser ce combat plus loin était de la folie. C’était risquer de le voir se transformer en un Giganto si puissant qu’il serait comparable à un dragon. Et en cette Scarlet Night, si près de son royaume, ce n’était tout simplement pas quelque chose qu’il pouvait se permettre.

Son plaidoyer semblait avoir effet. La fureur, la colère, la rage, toute la malveillance de cet individu se calmait. Elle s’intensifiait, mais elle n’était plus incontrôlable. Il ne perdait plus la tête. Il s’enrichissait véritablement de ce mana corrompu. Hum! Il lui avait bien semblé que cet homme n’était pas venu ici pour le rien. Les Yakshas adoraient la guerre, certes, mais tuer autant de deamons comme ça? C’était pas par simple plaisir.

― « D’homme à homme, de guerrier à guerrier, sur notre code, notre loyauté qui nous unit à nos armes et honneur, répond-moi avec honnêteté. » Il sentit le regard du deamon se concentrer dans ses yeux, menaçants, perçants, de quoi à faire des cauchemars. « Que cherches-tu ici? Quel est ton but? »

Le deamon prit une grande inspiration, son corps s’assombrissant par sa malveillance. Le roi fronça des sourcils. Quelque chose n’était pas noble chez ce jeune homme ― et ce n’était pas le fait qu’il était deamon. Il y avait quelque chose de viscéralement sombre, quelque chose en son être qui ne pouvait être purifié, qui ne pouvait être changé, qui le définissait comme un deamon. Peu importe ce qui arriverait, peu importe les tentatives, avec ces ténèbres, cet homme n’allait jamais redevenir humain. Quelque chose en lui l’avait complètement corrompu. Gaius ne doutait aucunement que cet homme aurait pu être un noble serviteur, un chevalier, un samouraï qui était l’exemple parfait de l’honneur. Mais il y avait une noirceur en son âme qui allait toujours l’envahir, à tout jamais.

Qu’est-ce que ça pouvait bien être…

Un esprit calme et posé… Un esprit en paix. Tout cet entraînement à conserver une volonté de fer, peu importe les circonstances. Et voilà qu’il balançait tout cela par la fenêtre! Bon sang! Cet humain avait raison! Il était en train de se perdre! Comment il pouvait s’abandonner à sa malveillance ainsi? Il aurait pu… complètement se perdre. Il aurait pu devenir un monstre total. Il aurait pu devenir un de ces cadavres qu’il avait passé toute la soirée à massacrer. Il n’aurait pas été mieux qu’eux.

― « Mon but… » répéta-t-il comme un grognement d’animal. Simple. Très simple. Tuer son frère. Le vaincre. L’assassiner. Le massacrer. Lui arracher le cœur. Le réduire au néant. Le détruire. L’anéantir complètement. Il ne vivait que pour cela. C’était sa seule raison de vivre. Rien d’autre ne lui importait plus que sa haine envers son frère. Son frère qu’il avait tant adoré jadis… jusqu’à ce que celui trahisse toute son idéologie. Son héros d’enfance, un sale traître. Un simplet qui ne prenait rien au sérieux. Et qui était incapable de battre! Lui, qui avait tant travaillé, tant souffert, tant saigné pour avoir un peu de reconnaissance, et lui qui se moquait de tout, qui avait tout simplement du talent naturel, qui se fichait du monde, qui prenait tout à la blague! Le numéro un de la famille!
Dégoûtant.

― « Je dois vaincre mon frère. Je dois devenir plus puissant que lui. » L’humain devant lui ne bougea pas. Ils se considérèrent mutuellement pendant de longues minutes, jusqu’à ce que le guerrier baisse son arme, sans le lâcher du regard.

― « Et après? »

― « J’aurais gagné. »

― « N’aurais-tu plus aucune raison de vivre? »

― « Je vous battrais. »

L’humain pencha la tête sur le côté par petit amusement, mais il reprit son sérieux aussitôt. « Ton but n’est que de trouver plus fort que toi pour le supplanter? Qu’arrivera-t-il lorsque tu seras le plus fort? Lorsque tu ne trouveras plus rien à battre? Tu t’en prendras aux plus faibles? »

― « Jamais! Tuer les plus faibles, c’est perdre tout honneur! Un vrai guerrier relève les défis! Un vrai guerrier cherche toujours à battre plus fort! »

― « Faux, » répondit le guerrier, en tournoyant sa lame, de sorte à ce qu’il puisse la pointer vers le ciel, devant son visage, la lame effilée séparant son visage en deux. « Un vrai guerrier, un noble guerrier, protège les plus faibles. Un guerrier se bat pour ceux qui ne le peuvent pas. Un guerrier défend ceux qui comptent. Si tu n’as rien à protéger, tu n’es pas un vrai guerrier. Si tu ne te protèges pas toi-même, alors tu n’es qu’une bête. Il n’y a rien de noble en toi si tu n’as pas de but. »

Par réflexe, par rage, Rokurou tenta de saisir ses dagues, mais il réalisa qu’elles n’étaient plus à ses côtés. Celles-ci avaient revolées au loin. Il se retourna, prêt à aller les récupérer.

― « Te sens-tu insulté, yaksha? C’est parce que tu sais que j’ai raison. Tu aspires à être noble, mais tu ne l’es pas. Tu es complètement vide. Tu n’es qu’un pion face à ta rage, à ta colère, à ton obsession. Je vois ta malveillance; elle s’impose trop en toi. Tu pourrais être mieux que cela. Tu pourrais vaincre ta malveillance. Tu pourrais devenir le guerrier dont tu as toujours rêvé d’être. Mais pour cela, il te faut vaincre ton ombre. »

Le samouraï se figea, puis détourna la tête vers le guerrier. À sa grande surprise, un être féminin à la peau bleuté flottait aux côtés de l’homme. Était-ce vraiment un humain? Non… c’était comme cet exorciste. Un esprit? Pourtant, cet homme n’était pas un des soldats de Sylvarant. Il y avait d’autres humains qui pouvaient se lier ainsi aux esprits?
Cet homme était beaucoup plus puissant que ce à quoi Rokurou s’était imaginé. Pourtant… pour qu’un tel homme survive à cette nuit, parmi autant de malveillance sans être pris par cette folie, sans être affecté par même lui… Il ne pouvait pas être un simple homme. Il n’était aucunement un homme banal.
Il se demandait même si l’esprit avait vraiment quelque chose à voir avec sa capacité à rester dans tant de malveillance, ou si l’âme de cet homme était noble à ce point-là. Quelque chose lui disait que cet esprit s’était lié à lui uniquement parce qu’il en était plus que digne.

L’homme posa son regard tranquillement sur l’esprit.

― « Celsius? » demanda-t-il, comme s’il ne s’attendait pas à sa présence soudaine. L’être féminin ne lui répondit pas. Rokurou plissa des yeux, curieux, lorsque tout d’un coup, le sol se mit à trembler. Il posa un pied derrière lui pour ne pas perdre l’équilibre, et il vit l’homme faire pareil. L’esprit leva les bras de chaque côté, invoquant un mur de glace devant elle, et tout d’un coup, Rokurou sentit quelque chose de profondément incorrect derrière lui, venant du cratère du volcan.

Pas un mur de glace.
Pas de la lave.
Pas de la malveillance.
Quelque chose d’encore pire que de la malveillance.
Et pour la première fois depuis sa transformation, il sentit de la terreur.

Lentement, il se retourna vers le cratère, devant rassembler tout le courage qu'il avait pour regarder l'horreur qui s'offrait à eux. Un autre mur de glace s'était érigé derrière lui, mais cela ne ressemblait pas à l'œuvre de Celsius. Les mots lui manquaient tout simplement pour décrire ce qu'il y avait devant lui.

― « Mais qu'est-ce que... » murmura-t-il, juste avant de reprendre sa forme normale.

― « C’est du miasma, » déclara Jade, les mains croisées dans son dos, ses esprits personnels à ses côtés. Lumi la première, flottant dans les airs à l’image de Celsius, qui avait érigée des murs de glace derrière le deamon de Velvet et devant lui, afin de les protéger contre le miasma qui jaillissait du volcan. Seres la deuxième, juste aux côtés du praetor, les bras croisés sous sa poitrine, portant toujours un masque. Nisha la troisième, lévitant, mais accrochée à son bâton, un petit sourire niais aux lèvres.

Les deux adversaires se retournèrent vers lui, surpris. Jade replaça ses lunettes, nullement affecté par la situation. Et pourtant, il était parfaitement conscient de la présence de cette malveillance. Les esprits le protégeaient, et il les protégeait en retour. La moindre variation dans cette balance risquait de tous les faire perdre la raison. Il ne fallait en aucun cas hésiter.

― « Votre Majesté, » salua-t-il, attirant la surprise du deamon des pirates, qui visiblement ne savait pas contre qui il se battait. « Celsius. »

― « Je croyais que les exorcistes ne devaient pas intervenir ici, cette nuit, » trancha le roi, en posant sa lame au sol. Même l’Esprit primaire de la glace semblait méfiante envers lui ― mais ça, n’était-ce pas un trait commun à tous les esprits froids? Ha ha.

― « Mes excuses, votre Majesté. Je croyais votre duel terminé, » répondit-il sarcastiquement, avec un petit sourire méchant. Le roi ne réagit naturellement pas, tandis que le samouraï deamon les dévisageait un à un, comme un enfant qui s’immisçait dans une conversation d’adultes. Jade lui jeta un coup d’œil. La Scarlet Night l’avait en effet imprégné de pouvoir… mais le praetor n’était pas non plus fainéant. Maintenant qu’il avait la coopération de l’ancienne partenaire d’Arthur, il était tout à fait confiant de pouvoir battre une bête affolée. Que ce soit le frère de Rangetsu ou la belle-sœur d’Arthur…

― « Je te croyais être le chien de service de Velvet. Tu es fort loin de ta capitaine, deamon. »

Le frérot ne répondit pas à sa pique, un peu à sa déception, au début hésitant, mais Jade réalisa qu’il le défiait. Il ne lui faisait pas confiance? Pourtant, il était bien venu ici suite à ses indications, non? Hum… Le deamon semblait bien plus intéressé par le cratère. Après tout, la seule raison pour laquelle Jade avait grimpé ce volcan ― comme Gaius l’avait fait remarqué ― c’était pour le cœur du volcan. Les exorcistes ne devaient pas intervenir sur les flancs. Ils devaient juste s’assurer que les deamons y restent et que les humains n’y s’aventurent pas.

Clairement, ils avaient raté leur coup si le roi était venu ici, ha ha ha!

― « C’est quoi, du miasma…? » demanda le Rangetsu, les yeux tournés vers le brouillard mauve qui s’échappait de la lave.

― « Pardonne-moi de demander une question avant de répondre à la tienne, mais… que ressens-tu en ce moment? Le miasma aurait-il un effet sur toi? »

Le samouraï ne répondit pas, comme s’il considérait sa réponse, pour ensuite enfin répondre. « Je n’ai jamais eu peur de la malveillance, mais ça, je sais que c’est mauvais. Je n’ai jamais connu quoique ce soit de plus terrifiant que… ça. »

― « Fascinant, » répondit le praetor, en replaçant à nouveau ses lunettes, les sourcils froncés. Hum… Cela allait un peu en lien avec sa théorie. Il ne pensait pas que les deamons pouvaient être terrorisés par le miasma, ni même qu’un homme comme le frère de Shigure pouvait comprendre que ce n’était pas bien, mais il s’était bien douté que―

― « Répond à sa question, praetor, » coupa Gaius. Jade soupira.

― « Le miasma est quelque chose de pire que la malveillance, en effet. Il… semblerait que le miasma est du mana corrompu. »

― « Du mana corrompu? »

― « Semblerait? Ce n’est pas de ton genre d’hésiter comme cela, praetor Curtiss. »

― « C’est mon sujet de recherche actuel. Je n’en suis qu’aux préliminaires. »

― « Mais tu savais qu’il allait y en avoir cette nuit, à cet endroit précis. »

― « … en effet. »

Le roi soupira, détournant son regard du praetor pour pouvoir regarder le miasma qui s’élevait dans les airs, les esprits de glace les protégeant du brouillard toxique. Il tourna par la suite la tête vers Celsius. « Celsius, étiez-vous au courant? »

Celle-ci fit signe que non. Le roi plissa des sourcils et dévisagea à nouveau le praetor, comme s’il voulait l’accuser de tous les maux. L’exorciste se contenta de lui sourire par défi. Même si… C’était en vrai troublant. Jade voulait justement parler à l’Esprit primaire qui régnait ici. Si même Celsius ne connaissait rien au miasma… Il ne pouvait espérer qu’il soit le premier à percer le mystère sur cette matière toxique. Peut-être devrait-il s’adresser à Shadow…? Il jeta un coup d’œil sur Nisha, qui semblait complètement déconnectée de la réalité. Elle lui rappelait un peu trop son ex.

… C’était une idée à considérer…

― « Que savez-vous de ce miasma? Est-ce là une des armes secrètes d’Artorius? »

― « Vous? Les exorcistes, peut-être? Non, ils ne sont pas au courant. Je ne pense pas qu’Artorius connait l’existence du miasma. Je ne lui en ai pas parlé. Je crois que personne sauf nous… six, » répondit-il après une hésitation, comptant les esprits avec eux, « ne sache ce qu’est le miasma. Et encore là! Même moi, je n’ai aucune idée de ce que c’est! »

Il fit quelques pas vers le cratère, vers le centre du miasma. Seres posa une main sur son épaule, l’empêchant d’aller plus loin. L’exorciste tendit la main vers le cratère, et des pics de glace propulsèrent les dagues du Rangetsu vers leur propriétaire.

― « Tout ce que je sais, c’est que ce n’est pas bon signe. »

Quelle… surprise.  Même Celsius ne semblait rien y comprendre ― si elle n’était pas en train de lui cacher quelque chose, mais le roi n’y croyait pas. Les humains avaient tendance à croire que les Esprits avaient la réponse à tout, qu’ils étaient des êtres si anciens, si sacrés, qu’ils devaient être à l’origine de tout, mais une simple conversation avec un de ces esprits aurait fait comprendre à n’importe qui qu’ils étaient aussi vivants qu’eux. Ils étaient aussi ignorants de leurs origines, des mécanismes de ce monde, de la futilité des choses, et… de ce miasma. Peut-être que des esprits du feu auraient pu dire pourquoi ce miasma était là, dans ce volcan. Peut-être même des esprits de la terre. Celsius avait fait de Hellawes son territoire, un havre pour les esprits de glace, et ne voyait jamais d’un bon œil les esprits de feu. Même lui, il avait « l’esprit trop enflammé » pour elle, et ce n’était que par sa dévotion, son respect total envers elle qu’elle osait lui prêter attention. Et les esprits de glace, ça n’aime pas les volcans. Les esprits de la terre par contre, elle n’avait rien contre eux.

À en regarder les esprits qui entouraient le praetor Curtiss, il avait sûrement pensé pareil. Et les exorcistes avaient, disons, beaucoup plus de contacts avec les esprits élémentaires. Par contre, ils ne communiquaient pas avec les Esprits primaires. Peut-être que Gaius pourrait tenter de communiquer avec Gnome…?

― « Tu n’as pas expliqué pourquoi tu savais qu’il y en aurait ici, maintenant, » reprocha-t-il à l’exorciste. Le deamon (ces deux-là semblaient se connaître… étrange…) semblait complètement dépaysé, comme si lorsqu’il n’y avait pas de question de combat, il ne savait pas comment se comporter. Il s’accrochait fermement à ses dagues et les regardait comme un enfant perdu. Est-ce que les deamons étaient beaucoup plus sensibles au miasma que les humains? Il était vrai que Gaius avait ressenti un puissant malaise, mais pas au point d’en être terrifié.

Peut-être était-ce la présence de Celsius qui le rassurait? Il la regarda, et haussa les sourcils par surprise. Elle semblait… malade.
Du mana corrompu… N’était-ce pas là de la malveillance? Mais pourquoi les deamons et les esprits y seraient plus sensibles que les humains?

― « Parce que c’est un volcan. Et la Scarlet Night attire le mana. Elle agit comme un aimant. Le volcan est un accès direct au cœur de notre planète, au centre de notre monde. C’est un puits de mana, un accès direct. Mais… je crois que le miasma y serait présent en tout le temps, pas seulement aujourd’hui. »

― « Alors? »

Le praetor haussa des épaules. « J’étais curieux. Je voulais voir quel effet cela avait sur les deamons. »

― « Tu as eu ta réponse? »

L’exorciste replaça ses lunettes, puis tourna la tête vers le deamon. « Partiellement… »

― « Hé! Oh! Je ne suis pas un rat de laboratoire! »

― « Dans ce genre de situation, nous le sommes tous. »

Le roi souleva alors son épée, en direction de l’exorciste. Il n’avait jamais compris comment cet homme avait pu devenir un praetor. Est-ce que l’ordre d’Artorius était aussi corrompu que la politique de Tesseha’lla!? Il croyait que les exorcistes devaient être des gens au cœur pur! Jade Curtiss était tout sauf un ange…! « Si tu crois que je vais te laisser t’amuser avec mon peuple ainsi…! »

Jade allait répliquer, mais une nouvelle éruption de miasma secoua le sommet, et les esprits de glace s’activèrent à nouveau, protégeant les humains. Le deamon s’était de lui-même élancé à toute vitesse pour se retrouver aux côtés de Gaius, en sécurité auprès des murs de Celsius. Comme il le disait lui-même, il semblait terrorisé.

― « C’est bizarre… C’est très bizarre. Je n’y comprends rien. »

― « Qu’est-ce que tu ne comprends pas? »

L’exorciste ne répondit pas. Gaius se prépara à l’attaquer, puisqu’il n’avait toujours pas révélé ses véritables intentions, mais un deuxième rugissement, cette fois-ci bestial, les paralysa tous. Les murs de glace devinrent des dômes, les engloutissant complètement, Jade isolé des deux guerriers. Le roi abaissa son arme. Il baissa la tête vers le yaksha. Celui-ci était couvert de sueurs froides.

― « C’est… c’est quoi ça…? » répétait-il tout bas. Gaius leva les yeux, et réalisa qu’au lieu du ciel rouge enflammé dans lequel ils s’étaient combattus, la nuit était tombée sur un épais brouillard mauve, opaque, clairement toxique. Il avait même l’impression que le miasma recouvrait la glace, la… « corrompait ». La faisait fondre? Il avait l’impression de voir une matière gluante recouvrir le dôme. Le roi se retourna vers Celsius. Celle-ci semblait mal en point, mais moins qu’avant. Hum… Un gaz? Cela devait être pour cela qu’elle semblait malade. Ils avaient tous été affectés par le miasma. Ils étaient tous corrompus maintenant. C’est pour cela que le praetor disait cela…

Mais pourquoi les humains ne ressentaient rien d’étrange…?

Il n’y avait rien de pire que l’inconnu.
Surtout lorsqu’il n’était pas concret.

Rokurou n’y comprenait rien. Son corps lui criait de fuir. Toute sa malveillance se dissipait face à cette brume, ce gaz qui se répandait autour de lui. Il savait instinctivement que c’était mauvais. C’était comme ce que Jade disait. Il savait que ce n’était pas bon signe. Il savait que c’était mal. Que c’était dangereux pour tous les êtres vivants, lui compris. Et pourtant, le samouraï lui-même était convaincu que par le simple fait qu’il était deamon, il était au-dessus de tout. Arrogance. La leçon que… ce roi? C’était un roi lui? Le roi de qui? Et bon sang, qu’est-ce qu’il aurait adoré que tous les rois soient comme lui! Le monde serait tellement mieux si les dirigeants de ce monde étaient tous des guerriers comme lui! Peut-être même qu’il ne serait jamais devenu deamon s’ils étaient à son image.

Ce n’était pas qu’il regrettait d’être devenu deamon. Mais… il y avait quelque chose en ce moment qui était contradictoire.

Ce roi n’était qu’un simple homme, après tout. Il était bien plus puissant qu’un humain, mais il n’avait pas les sens des esprits ou des deamons. Rokurou voyait à travers la glace. Il voyait à travers le miasma. Il la voyait, cette chose dans le volcan. La seule explication qu’il avait, c’était un deamon. Un… un Giganto. Un autre monstre. Mais au fond de lui, il savait que ce n’était pas un deamon. C’était quelque chose de bien plus horrible que cela. Quelque chose contre nature. Quelque chose qu’il savait qu’il ne devait pas s’en approcher.

On se demandait s’il y avait pire que Heldalf. Rokurou en avait maintenant la réponse.

― « … Co, comment on sort de là, maintenant? » demanda-t-il au roi, qui se tenait toujours debout, fier, comme un solide poteau qui supportait le ciel, infatigable. Celui-ci baissa la tête vers lui.

― « Je dois sceller ce miasma. Je ne peux pas risquer la vie de mon peuple ainsi. Si même vous deamons, vous en avez peur, alors je ne peux m’imaginer les conséquences sur Hellawes. »

Rokurou ne répondit rien, enregistrant quelques secondes plus tard que c’était le roi de Hellawes. Sceller le miasma? Ce n’était pas qu’il était contre, au contraire, cela lui semblait une idée parfaitement logique, la meilleure chose à faire, l’action héroïque d’une vie, mais… comment deux simples guerriers pouvaient sceller un volcan? Il leva la tête vers l’esprit de glace. Est-ce qu’elle pouvait sceller un volcan? De la glace sur la lave? Cela n’allait pas vraiment fonctionner, n’est-ce pas? Il savait qu’il n’était pas aussi littéraire que Magilou, mais il était quand même assez intelligent pour savoir que la glace allait fondre. Il faudrait une telle quantité de mana pour congeler le volcan… que Rokurou ne voulait même pas y penser une seconde de plus!

Par contre… c’était vrai qu’un bouchon, ça aurait pu se faire d’une manière quelconque. Idéalement, il faudrait descendre jusqu’à la source pour boucher ça, mais rapidement comme ça, pour fuir du sommet, un couvercle pour contenir le miasma, même si ç’allait exploser avec la pression d’un moment à un autre… Dans tous les cas, il leur faudrait un esprit de la terre. Il n’y avait que ces esprits qui pouvaient s’infiltrer dans les profondeurs. Un esprit comme…

― « Eizen! »
― « Eh ouais, c’est moi, » répondit le malak en jaillissant de la terre, poussant sur le sol pour s’élever sur terre. Une fois sur terre, il regarda le dôme, son expression affichant le malaise qu’il ressentait face au miasma. Le roi et son esprit dévisagèrent l’intrus, perplexes, tandis que Rokurou se tenait sur ses mains, s’attendant à voir plus de gens sortir.

― « Tu es venu seul? »
― « Les autres sont avec Edna. Ils sont allés récupérer l’exorciste. Mais qu’est-ce que c’est que cela? »
― « L’exorciste a dit que c’était du miasma. Tu connais? »
― « Non. On dirait de la malveillance, mais en encore pire. Ça doit être un dérivé de la malveillance. Sûrement un produit de cette Scarlet Night. »
― « Nan, l’exorciste avait l’air à dire que c’était autre chose. Même moi, je sens que je ne devrais pas m’y exposer. »
― « Vraiment? Mais tu es un deamon, Rokurou, la malveillance ne peut pas te faire du mal comme nous malakhim. »

― « Vous êtes un malak…? » demanda alors le roi. Eizen le toisa du regard, plaçant ses poings sur le côté de manière à bomber son torse et à paraître menaçant. « Et vous êtes…? »

― « Arrête, » dit le samouraï en se relevant, prenant appui sur les avant-bras d’Eizen. « C’est le roi de Hellawes. C’est pas un humain ordinaire. »
― « Et qu’est-ce que le roi de Hellawes fait ici…? » grogna à nouveau le pirate malak, ne détournant jamais son regard du guerrier humain.
― « Je pourrais vous demander pareil, » répliqua celui-ci sur le même ton.
― « Eizen, » interrompit Rokurou, la main fermement sur le poignet de son ami, est-ce que tu peux sceller le volcan? »
― « Sceller le volcan? Mais pourquoi donc? » s’étonna le malak de la terre. « Pour empêcher ce « miasma » de se répandre? Un bouchon ne sera pas suffisant. C’est la cause qu’il faut trouver, et je doute qu’un volcan soit la source de cette malveillance. Tu ne vas tout de même pas me demander de sceller la lune? »
― « Mais ça serait une solution temporaire non? On ne peut tout de même pas laisser ce miasma se répandre sur toute la montagne, Velvet y est encore! Et si ça ne s’arrête pas? Ce sera tout le continent qui sera contaminé! »
― « Je vous en implore, malak, aidez-nous à sceller ce miasma, » ajouta le roi, en se penchant bien bas devant Eizen.

Le malak hésitait. « J’imagine que ça serait possible avec l’aide d’Edna… »

― « C’est pire que nous le sommes imaginé, » constata Seres, une main sur la hanche. Lumi resta silencieuse. Jade se passa de commentaires.

― « Moui, trois femmes prises dans une boule de glace avec un homme méchant, je ne vois pas ce qui pourrait nous arriver de pire! » gémit Nisha, en se tortillant dans les airs, arrachant un puissant soupir de la part de l’ancienne compagne d’Arthur. Même le praetor ne put s’empêcher de faire pareil. La ressemblance avec Magilou était… un peu de trop.

― « Que faisons-nous? Nous ne pouvons pas étudier ici. C’est trop dangereux pour nous tous, » demanda Lumi, son regard fixé sur le cratère qu’elle observait à travers la glace. « Même si nous pouvions nous immuniser contre le miasma, il y a dans le volcan une créature gigantesque. »

― « Pareille à mes expériences à Palmacosta? »

― « Oui. »

Il soupira en haussant des épaules. « Au moins ma théorie est confirmée. Le miasma a réellement le pouvoir de muter les êtres vivants en des créatures pires que les deamons. » Il repoussa ses lunettes avant de replacer ses mains dans ses poches. « Je ne m’attendais pas à ce que les deamons soient aussi affectés par le miasma. »

― « Haaaaan? Mais n’es-tu pas un deamon, Jade? Tu dois bien t’être rendu compte que ça t’affectait aussi, non? »

Surpris, Jade tourna la tête par-dessus son épaule pour voir l’ex-exorciste qu’était Magilou, les mains sur les hanches, provocatrice, alors que ce malak de terre aidait le malak de vent à sortir de la terre. Il était curieux, mais il savait qu’il ne fallait jamais donner la satisfaction de poser des questions à cette fille. La sorcière penchait justement la tête sur le côté, prête à le niaiser, mais Jade avait passé trop de nuits avec elle pour ne pas savoir comment s’y prendre avec elle.

― « Mmmh dis donc, ça en fait beaucoup de monde, je me sens coincée… » gémit Nisha, en tirant sur le haut de sa robe, la tête renversée vers le bas, et le malak de vent fut aussitôt attiré vers elle.

― « »
― « Bon, j’y retourne, » déclara l’enfant de terre, tirant sur les cheveux du malak de vent pour l’engloutir sous la terre avant qu’il ne puisse placer le moindre mot. L’exorciste était maintenant seul à seul avec son ex, accompagnés de ses trois esprits.
― « Dommage, on aurait pu avoir besoin d’oxygène, on étouffe un peu ici… » gémit à nouveau Nisha, alors que Magilou s’approchait de Jade. Lançant ses bras de chaque côté de sa tête, elle se collait entièrement à lui, plaquant ses paumes contre son dos, l’empêchant de se défaire d’elle. « Jaaaaaaaaaaaaayyyyyyyy― »

― « N’est-il pas dangereux d’amener des malakhim ici? Tu dois bien savoir que la Scarlet Night est dangereux pour les esprits. »

Elle soupira, fit grimace sur grimace, gémissement sur gémissement, mais Jade ne fléchissait aucunement. « Je vois bien trois esprits avec toi. Te crois-tu si incorruptible que tu crois pouvoir garder trois demoiselles au chaud dans le nid douillet qu’est ton corps? Si j’étais elle, j’aurais bien plus peur de toi. Après tout, j’ai la preuve que tu n’es pas si pur que tu ne le prétends. »

― « Je suis sûr que tu rêves d’être à leur place, » répondit-il froidement, et Magilou soupira bruyamment en se détachant de lui, lui faisant dos. Nisha se colla à lui, alors que les deux autres esprits restaient de marbre.

― « Mais oui, le puissant Jade n’a pas besoin d’aide! Je viens prendre pitié de lui, je viens le sauver de cette terrible nuit, et il me repousse! »

― « Tu n’as pas changé Magilou. Tu déformes encore les propos des autres. »

Elle lui fit une grimace par-dessus son épaule, les bras croisés. Il ne bougea pas d’un poil. Elle finit par soupirer, et il comprit qu’il avait enfin gagné.

― « Il y a de gros deamons ici. Rokurou était tout seul, normalement. »

― « Eh bien, désolé d’être dans le chemin! »

― « Oui, je sais que tu en es profondément attristé! » pleurnicha-t-elle d’un ton moqueur, se recollant à nouveau contre lui, sachant très bien qu’il en avait complètement horreur. « Peut-être que tu pourrais te racheter en nous expliquant tout ce que tu sais…? »

― « Dommage, je comptais justement sur toi pour en savoir plus sur ce miasma, » lui répondit-il sur un ton également moqueur. Elle fronça d’un sourcil, le jugeant, et après quelques secondes, elle réalisa qu’il était bel et bien sérieux. Elle en était contrariée, mais… que pouvait-elle y faire? Il avait peut-être des défauts, mais il n’était pas un sale menteur. Au contraire, même…

― « Si tu pensais que mon père avait des secrets à ce sujet, je suis désolée de t’apprendre que non, c’est la première fois de ma vie que je vois cette chose. »

― « Et tu n’as aucune piste à m’offrir? »

― « Pourquoi j’en aurais? C’est toi le scientifique fou! Je ne suis que l’élève modèle disgrâciée! »

Ils se considérèrent mutuellement pendant quelques instants dans un silence ponctué de complaintes de la part de Nisha, qui exigeait à savoir qui était cette fille. Après un long moment, Jade replaça enfin ses lunettes.

― « J’ai lu un texte ancien qui en faisant mention. Ce n’était pas daté. »

― « Et ça disait quooooiiiiii? » le pressa-t-elle.

― « Rien d’autre. »

― « Rien? Pfft, qu’est-ce que tu es inutile! » explosa-t-elle avec d’autres insultes exagérées, qu’il ignora complètement. Après qu’elle eut terminé de faire les cents pas, elle s’arrêta pour lui faire de nouvelles reproches.

― « La première fuite que j’ai trouvé était à Palmacosta. J’ai dû investir une énorme somme d’argent pour la contenir. »

― « Une fuite? » demanda-t-elle sur un ton sarcastique, comme si elle lui en reprochait sa cause.

― « Je ne serais pas étonné qu’il y en ait une à quelque part à Tesseha’lla. C’est en creusant que la fuite a contaminé notre sous-sol. Beaucoup d’hommes ont… péri. »

― « Péri comment…? »

― « Par mutation. Ils sont devenus des monstres. Au début, j’ai cru à de la malveillance. Mais c’était complètement différent de ce qu’on avait vu. Ils se battaient contre les deamons aussi. Ils essayaient de tout détruire. Et l’exposition continue au miasma empirait les choses. C’était une nouvelle forme de mutation. Une mutation bien plus dangereuse. »

― « Tu les as tous tués? »

― « La plupart ont péri d’eux-mêmes. Ils n’ont pas survécu à leur mutation. Ce miasma est toxique pour tout être vivant. Et le pire, c’est qu’on ne le ressent pas. Il n’y a que les… esprits et les deamons qui semblent comprendre que le miasma est toxique. Ton cher ami samouraï en était mort de peur. »

― « Normal, c’est un trouillard! » répondit-elle, mais il l’ignora.

― « Même les humains sensibles au mana ne se rendent pas compte que le miasma est dangereux avant qu’il ne soit trop tard, » intervint Seres.

― « En effet. Notre bon roi Gaius semblait être prêt à s’élancer dans le volcan pour tout couper avec sa lame. Quelle chance que Celsius l’accompagnait cette nuit… »

― « Et Celsius est au courant de rien? »

― « Il semblerait que non. »

Prenant enfin son sérieux complet, Magilou se croisa les bras, pensive. La sorcière était une plaie en générale, mais lorsqu’elle le voulait bien, elle pouvait devenir une excellente partenaire de recherche. Elle l’avait bien aidé, dans le passé, avant que son père adoptif la brise complètement. C’était… fort dommage, ce qu’elle était devenue.

― « Celsius est l’Esprit primaire de la glace, mais elle ne fait pas parti du grand quatuor élémentaire de Maxwell. Peut-être que tu aurais plus de chance avec ceux-là. Ou un autre esprit plus élevé. »

― « Plus élevé que Maxwell? »

― « Oui. Sa nouvelle réincarnation est aussi ignorante que Rokurou. Ça ne te servirait à rien de perdre ton temps avec elle. »

― « Elle pourrait m’aider à contacter les autres esprits. À entrer dans Rieze Maxia. »

― « Mais oui, demandes-y un passeport express, je suis sûre qu’elle va te faire confiance, tu es tout à fait le genre d’homme qui fait craquer toutes les femmes avec ton beau sourire! »

― « Je sais, » blagua-t-il, pour ensuite repasser ses cheveux de sa main alors qu’elle lui faisait un air bête. « De toute façon, pour contenir ce genre de fuite, je n’aurais nul autre choix que de demander l’aide de Gnome. »

― « Bonne chance, » répondit-elle sèchement. Jade l’ignora à nouveau. Par chance, leur conversation fut coupé court par le retour de l’enfant de terre.

― « Qu’est-ce qui se passe ici? » demanda-t-elle avec le ton le plus ennuyé humainement possible.

― « Oh, Edna, tu en as déjà fini avec Zaveid? C’est bien, je suis heureuse que tu sois enfin devenue une femme mature! »

― « Vous et votre frère êtes des malakhim de terre, n’est-ce pas? Ne pourriez-vous pas sceller temporairement la fuite? »

― « Oui, c’était ça ma question, » répondit la jeune fille sèchement. L’exorciste soupira en réajustant ses lunettes. Sans dire le moindre mot, Lumi leva les bras pour élever un tunnel de glace entre les deux dômes, permettant aux deux groupes de se rejoindre. Les hommes se dirigèrent vers eux, alors qu’Edna continuait à dévisager le praetor.

― « Vous avez des pouvoirs sur la terre? » demanda le malak de terre masculin.
― « J’ai des connaissances, en effet, » acquiesça l’exorciste.
― « À trois, on devrait pouvoir contenir cette faille, » proposa le malak en se croisant les bras, baissant la tête vers sa sœur, qui rougissait maintenant.
― « Après, je vais pouvoir créer un peu d’air avec mes pouvoirs. Malheureusement, ce gaz ne peut pas être replacé sous terre, mais en moindre concentration… »
― « Oui, cela devrait être suffisant, » approuva Jade.

Les deux malakhim et le praetor se mirent à l’ouvrage, concentrant leurs artes ensemble pour ériger d’énormes piliers de terre, qui s’effondrèrent sur le dessus du volcan. Le ciel devint totalement noir, complètement couvert par ce nuage de gaz toxique. Le malak de vent souleva des vents qui le fit disperser, et rapidement, le ciel reprit sa couleur de sang initiale, dû à la Scarlet Night. Tout était revenu à la « normale ».

― « Combien de temps ce sceau va-t-il durer? » demanda Gaius.
― « Assez longtemps pour trouver une solution permanente, » affirma le malak de terre.
― « Je vous en suis reconnaissant, » remercia le roi, poing au cœur. Sa sincérité était transparente.
― « Bon, on fait quoi maintenant, on rentre? » demanda Magilou sur un ton plaignard.
― « Velvet doit nous attendre au navire? »

Jade soupira. « Je suppose que je n’ai pas le choix… »

Alors que le groupe incongru descendait le flanc de la montagne, de l’autre côté se trouvait l’amas de miasma que Zaveid avait repoussé, et était maintenant aspiré dans un contenant de métal bleu. Le miasma était tourbillonné et siphonné dans un trou au sommet du cylindre, compacté en un liquide que les deux hommes savaient être hautement toxique, et lorsqu’il n’y eut plus aucune trace de miasma, le leader referma le bouchon, le cylindre se scellant automatiquement grâce à sa technologie. Trois lumières sur les côtés changèrent de couleur, passant du rouge au vert pour ensuite devenir bleu, signifiant que le scellement avait été réussi. Le magicien tomba à terre, la main sur le cœur.

― « Now now, Raven! N’abuses pas de ton heart! » sermonna Yeager, en s’assurant que le cylindre ne possédait pas de fuite. Avec une matière aussi toxique, il ne fallait prendre aucune chance. « Tu n’as que 35 ans, my dear friend. »

Celui-ci ne répondait pas, complètement à bout de souffle. Hum. Il supposait que ça devait être tout un exploit. Après tout, ils étaient très téméraires d’avoir aspiré tout cela, après ce qu’ils avaient entendu.

― « T’es sûr que c’était une bonne idée tout ça!? » demanda Raven, entre deux souffles. L’homme semblait complètement affolé. Il ne pouvait pas vraiment le blâmer; après tout, ils ne connaissaient rien à cette matière. Et c’était justement pour cela qu’il avait décidé de mettre la main dessus.

― « Il faut savoir prendre des chances, my friend, » le sermonna-t-il à nouveau, satisfait de son examen du contenant. « Une matière highly dangerous, que personne ne connait? C’est l’occasion en or, Raven! Avec ça, je vais pouvoir exterminer Alexei… »

Son ami ne répondit rien, celui-ci préférant s’étendre sur la neige. « Hm? Tu n’as plus cold? »

― « SI! SI! JE N’EN PEUX PLUS! »

― « So lève-toi. Sinon, je te laisse ici. All alone. »

― « Ça ne t’es jamais arrivé d’avoir de la pitié? Pour des gens comme moi? Je souffre, tu sais! »

― « Tu vas t’en remettre. Je trust you. »

Avec beaucoup d’exagération, Raven se roula sur le ventre, pour ensuite se pousser afin de pouvoir se relever. Yeager avait pendant ce temps soulever le lourd cylindre scellé sur son épaule, près à redescendre la montagne. Finalement, il avait eu raison d’écouter son instinct. Il savait que cette nuit allait lui rapporter quelque chose de grandiose. Jamais il n’aurait cru que ç’allait être une arme secrète… Il ne restait plus qu’à trouver comment exploiter la chose. Du « mana corrompu » il avait dit, non? Quelque chose qui semblait toxique… Un poison qui faisait peur même aux deamons. Hum. Il fallait tester la chose sur le métal. Si c’était du mana corrompu, et que tout était mana, alors le miasma devait agir sur le métal aussi, non?

― « Allez, hurry up avant que ça ne fonde sur me! »

― « Et ton cœur? Ton blastia, il tient!? »

― « Ah, poor, poor you, qu’est-ce que tu peux être si fragile! Je vais devoir faire des ajustements sur your blastia! »

― « N-non, ça va, allez, j’arrête, j’arrête je promets, » déclara soudainement son ami, comme à chaque fois qu’il était question de son cœur. Cela devenait de plus en plus suspect, mais Yeager pouvait comprendre pourquoi il était sensible au sujet. Il ne poussait jamais trop la chose… et dès qu’ils en parlaient, Raven devenait soudainement un surhomme au même niveau que lui. Hum. Fainéant.

― « Et comment on fait pour descendre tout ça!? » recommença aussitôt à se plaindre Raven. Yeager leva les yeux au ciel.

L’espion se retourna vers le sommet du volcan, là où se trouvait le sceau qui avait été créé par ces inconnus. Après quelques instants, Yeager l’appela, et il reprit aussitôt la descente.

Raven avait reconnu un de ces hommes. Jade Curtiss. Un des meilleurs praetors de l’Ordre. Un égal à lui. Raven avait été très étonné d’apprendre que ce « miasma » n’était pas connu d’Artorius. Il avait toujours eu des soupçons envers cet homme, un ancien scientifique de Tesseha’lla, qui avait soudainement coupé tout pont avec la Spirius. Mais de là à cacher une telle chose à Artorius…? C’était vrai que lui aussi, il ne faisait pas confiance au leader des exorcistes, mais… il lui aurait semblé que ça aurait été une bonne chose à lui dire, non? Quelque chose qui était potentiellement plus dangereux que la malveillance? Certes, ce n’était pas quelque chose à déclarer au grand public, surtout pas en ces temps, mais… ils avaient évité toute une catastrophe là, non? Si Yeager n’avait pas eu la brillante idée de réduire son « dear friend » à l’esclavage en le forçant à aspirer tout ce gaz dans un petit trou, qui sait quels ravages ce miasma aurait causés!

― « Yeager… »
― « Again? » soupira avec exaspération le leader de la plus grosse organisation criminelle au monde. Raven n’avança rien.

Son vieil ami lui avait carrément tordu le bras pour l’amener ici. Raven avait entendu parmi les exorcistes que cette nuit allait être particulièrement terrible, et… oui, avec leur condition, ils étaient complètement immunisés contre la malveillance, mais ils n’étaient pas immunisés contre les gros crocs et griffes des monstres. Yeager était convaincu qu’il allait trouver une arme secrète ici, une matière ultrasophistiquée et rare qui allait révolutionner le monde de l’armement, une primeur, mais là, Raven trouvait que ça jouait sur l’éthique. Du « mana corrompu »? Cela ne prenait pas un génie pour comprendre que c’était dangereux pour tous les êtres vivants. Tout était fait de mana. C’était l’une des lois primaires de ce monde. La vie était mana, les esprits se nourrissaient de mana, les humains échangeait leur mana pour utiliser des artes, la matière était mana. Alors du mana corrompu…?

Il... Il ne pouvait même pas s’imaginer les conséquences.

― « Cela bothers you, » constata Yeager, qui voyait comment Raven traînait de la patte. « Cela me bothers too― »
― « Alors― »
― « Si ça fond on me, you’re responsable. Allez, hurry up! »

Fond? Ah… Toute matière était mana. Mais si Yeager pensait encore plus loin que lui, comment ne pouvait-il pas en avoir peur? Comment pouvait-il croire qu’il n’y avait aucun problème à utiliser cette chose? Il fallait s’en débarrasser au plus vite! Il fallait faire en sorte que personne ne soit en contact!

― « Yeager; arrête. Laisse ça ici. C’est trop dangereux! Tu ne sais pas ce que ça peut faire sur les gens! Il faut qu’on se sauve d’ici au plus vite! Tu ne peux pas commercialiser ça, pense aux― »
― « Je ne vais pas sell ça. C’est pour myself only. »
― « Hein? »
― « I said it, no? C’est pour tuer Alexei. Si le miasma ne work pas sur ses machines, soit. Mais ça va work on lui, no? Il est human. Il va crever. »

Raven le dévisagea, perplexe. Il était prêt à aller jusque-là pour avoir sa vengeance…? Honnêtement, il avait beaucoup d’admiration. Il aurait tant aimé pouvoir se rebeller contre Alexei, pouvoir le tuer ainsi… Mais il n’était pas sûr qu’il irait jusqu’à utiliser du miasma pour ça. Jusqu’à mettre la vie de tant de gens en danger. Apporter ce contenant de miasma à Tesseha’lla, c’était un énorme risque. Si le contenant s’ouvrait en chemin…
Et pourtant, l’idée qu’Alexei en soit une victime était hautement alléchante. C’était ça la guerre, comme ils avaient appris quand ils étaient petits hein?

― « Think, my friend; c’est une arme que personne connait. Il l’a dit. Même Tesseha’lla n’y connait nothing! Alexei n’en saura nothing! J’ai l’avantage! »
― « Je n’en suis pas si sûr que ça… » marmonna dans sa barbe Schwann. Alexei connaissait malheureusement trop de choses… et le miasma ne sera pas secret pour lui…