Amnésie [Alice] (Terminé)

Le duo prit un peu de temps pour trouver la maison du couple vu qu’elles étaient nouvelles en ville. Elles réussirent à trouver quelques indications de la part des passants et finirent par retrouver la maison. Celle-ci était située dans un quartier pas trop loin du port, qui semblait avoir un moyen de vie correct. Les gens riches à Sylvarant se faisaient plutôt rares, mais ce couple ne semblait pas vivre dans la misère non plus. Terra jeta un coup d’œil à son amie, comme pour s’assurer que tout allait bien,  mais elle ne lui dit rien. C’était un peu trop tard pour les regrets, de toute façon. Elle prit une bonne inspiration, puis cogna à la porte. Après quelques instants, qui se firent longs pour les deux jeunes femmes anxieuses, une dame d’un âge moyen ouvrit la porte. Celle-ci semblait épuisée, et Terra comprit aussitôt que cette mère ne dormait plus de sommeils paisibles depuis la disparition de ses enfants.

― « Qui êtes-vous… » demanda la femme d’une voix qui trahissait son âge, se montrant méfiante envers les étrangers à sa porte. L’apparence inhabituelle de Terra la fit froncer des yeux, puis elle attarda son regard sur Alice. Elle semblait juger la deamone, mais après quelques instants, comme si elle prenait petit à petit conscience de ce qui se passait, ses traits se relâchèrent.

― « Alice…? »

Terra dévisagea Alice, puis la dame qui les avait ouvert la porte. C’est vrai qu’elles se ressemblaient… mais jamais elle n’aurait cru qu’elles retrouveraient la famille d’Alice aussi rapidement! Quel… quel soulagement! Maintenant, Terra était convaincue que la deamone ne retournerait jamais vers son maître. Après tout, quel genre de « père » cacherait à sa fille sa famille? Surtout lorsqu’ils étaient encore vivants?

La mère fit quelques pas hésitants vers Alice, puis plaça sa main sur le visage de celle-ci, comme pour bien confirmer que la jeune fille était réelle. Au même moment, un homme s’approcha de l’entrée de la maison, poussé par la curiosité, voulant vérifier que personne ne causait de trouble à son épouse. Sur le coup, il vit deux jeunes femmes qui semblaient être des étrangères en ville, et il se demandait bien pourquoi elles étaient venues les déranger eux, mais lorsqu’il vit son épouse toucher l’une d’entre elle, il sentit que la situation était anormale. Il sortit lui aussi de la maison, et vit que la plus jeune des deux femmes était sa fille, portée disparue depuis si longtemps.

Terra se mit à part, souhaitant laisser l’espace et le temps nécessaires à la famille pour réaliser leurs retrouvailles. Si Alice reconnaissait son père… elles n’auraient même pas besoin d’aller voir le village, elle allait tout de suite réaliser qu’Heldalf l’avait trahie. Après, il restait à voir comment Alice allait réagir suite à cette révélation…

Les parents eurent un pincement au cœur en entendant Alice réclamer sa sœur. Eux aussi, ils voulaient tant retrouver leurs deux filles, même s'ils étaient bien heureux de déjà retrouver Alice saine et sauve. Ils étaient cependant quelque peu surpris que leur fille cherche sa jumelle, car ils étaient convaincus que même dans leur disparition, elles resteraient inséparables.

― « Qu'est-il arrivé dans ce village? Tous les habitants ont disparus... Cela fait des années que nous vous recherchions, toutes les deux. Comment as-tu été séparé de ta sœur? Tu n'as aucune idée d'où elle est? » demanda-t-elle, avec un peu de reproche. Après tout, tant qu'elle ne retrouvait pas toute sa famille au complet, la mère d'Alice n'allait jamais pouvoir dormir en paix.

― « Heldalf...? » demanda la mère d'Alice, un peu confuse. Ils avaient entendu parler de ce nom, mais ils n'avaient pas encore fait face à cette menace. Cela dit, ils savaient que ceux qui étaient corrompus par des deamons devenaient eux aussi des deamons. Leur fille adorée était donc ainsi devenue une deamone? Les parents se regardèrent d'un air sévère, comme s'ils hésitaient à réagir. Ils étaient bel et bien heureux de retrouver Alice... mais...

― « Ne t'inquiètes pas Alice, nous ne blâmons pas pour ce qu'il t'a fait. Je sais que tu n'étais pas toi-même, » la rassura son père, prenant la décision pour le couple. Son épouse lui jeta un regard, un peu incertaine, bien qu'elle était d'accord. Elle n'était pas tout à fait rassurée pour l'état de sa fille, mais son époux semblait ne plus s'en faire. « Rien n'indique qu'elle est morte, après tout. »
― « Mais elle doit être une deamone elle aussi, maintenant, » répliqua un peu sèchement la mère. Elle tourna le dos à sa famille et rentra dans sa maison, les laissant en froid. Le père soupira, puis s'excusa auprès d'Alice et de Terra pour ensuite les inviter à l'intérieur.

― « Il faut comprendre que... c'est dur à accepter. Tu seras toujours ma petite fille que j'aime beaucoup, Alice, malgré ce que tu es devenue. Ce n'est pas de ta faute, mais... ça nous fait peur, tu comprends? Si les exorcistes apprennent qu'on abrite une deamone... »

Terra était mal à l'aise, mais il n'y avait rien qu'elle pouvait y faire. Ce n'était pas sa place de parler, et elle ne savait que dire non plus. La mère semblait bouleversée par ces nouvelles, et Terra compatissait avec elle. Secrètement, la jeune femme espérait qu'elle ne retrouve jamais ses parents si c'était pour assister à une scène pareille. Après tout... Terra ne se souvenait même pas d'avoir eu une enfance. Peut-être que ses parents ne l'avaient jamais vu? Comment pourraient-ils réagir en découvrant leur fille? En fait... comment pouvaient-ils même la reconnaître? Peut-être qu'au fond, Terra avait déjà vu sa famille, mais comme ils avaient été séparés si tôt, ils ne se connaissaient pas.

Au moins, Alice pouvait tirer une joie de cette situation; elle savait que ses parents étaient vivants. Et maintenant Terra était rassurée qu'Alice n'allait pas retourner dans le piège qu'était Heldalf.

― « Écoute Alice... Tu seras toujours la bienvenue ici. Si jamais tu as besoin d'aide, tu peux toujours compter sur nous. Ne t'inquiètes pas pour nous, nous sommes forts, on a survécu tout ce temps. Je te préfère de loin en vie, peu importe ton état. Je ne sais pas qui sont tes amies, mais si jamais ta famille te manque, nous sommes juste ici. Ne crains pas pour notre sécurité, notre priorité, c'est toi et ta sœur. »

― « S'il te plaît Alice... ramènes-nous Lisana... » interrompit la mère, éclatant par la suite en sanglots. Terra baissa les yeux, un peu frustrée de ne pas savoir comment réagir dans cette situation. Elle releva la tête vers Alice, un peu comme si elle voulait lui demander ce qu'elle voulait faire; rester ou partir tout de suite?

Terra eut un petit sourire lorsqu’Alice parla d’elle comme amie, se rendant compte qu’elles étaient mutuellement leurs premières amies. Pas seulement en tant que femmes libérées, mais pour Terra, c’était sa première amie à vie. La seule personne sur laquelle elle pouvait compter. La jeune femme avait compris qu’Alice faisait référence à ce Rokurou, qu’elle était maintenant curieuse de rencontrer, et bien que ces deux-là s’étaient rencontrés plus tôt, elle se rendait compte que c’était Terra qui avait gagné son amitié en premier. Sous l’influence d’Heldalf, Alice avait sans aucun doute considéré le deamon comme au mieux un allié potentiel.

― « Merci de nous avoir accueillies, je vous promets de prendre bien soin de votre fille et de l’aider à retrouver sa sœur… » fit Terra avec une révérence bien basse avant de sortir de la maison avec Alice. Voyant l’air blessé d’Alice, elle lui saisit la main, comme si elle pouvait lui donner du courage par cette façon. « Ton père semble être un bon homme. Ton vrai père, c’est-à-dire. » Elle n’osa pas faire mention d’Heldalf, ne voulant pas presser la jeune fille. « Est-ce que tu préfères rentrer chez Dornick pour aujourd’hui? On pourrait toujours aller voir ce village, mais je ne sais pas si… »

Terra eut un sourire en entendant parler Alice ainsi de son père. Elle ne pensait donc plus à Heldalf… c’était un bon signe! Et comme Alice planifiait d’aller à ce village, cela voulait dire qu’elle ne voulait pas retourner le voir! Cela dit, elle était quand même quelque peu inquiète; n’avait-elle pas peur que son maître lance des hommes à ses trousses? Enfin… cela faisait quelques jours qu’elles étaient à Sylvarant, et personne ne les avait encore attaquées. Soit qu’Heldalf avait laissé tomber, ou ses hommes ne les avaient pas retrouvées. Terra voulait lui demander ce qu’Alice comptait faire quant à son maître, mais elle jugea préférable de simplement rentrer chez Dornick.

À sa grande surprise, celui-ci s’était levé pour les accueillir, avec un air inquiet. Sur le coup, personne ne dit un mot, et l’elfe les dévisagea silencieusement avant d’aller se rasseoir. Terra traîna Alice dans sa chambre, lui demandant de se reposer un peu pendant qu’elle leur cuisinait de quoi. Pendant qu’elle était dans la cuisine, l’elfe lui jeta des coups d’œil constamment, prêtant à peine attention à son travail personnel. Éreintée, sans lever les yeux du plat qu’elle préparait, elle lui expliqua qu’Alice avait retrouvé sa famille et ainsi donc sa mémoire. Sur le coup, Dornick ne répondit pas, mais continua son manège.

― « Je suppose que c’est à votre tour, maintenant? » demanda-t-il finalement, ce qui fit sursauter Terra. Elle le dévisagea, mais celui-ci feignit enfin de se dédier à son ouvrage. Un peu embarrassée, elle retourna la tête vers les aliments qu’elle préparait.

― « N, non, demain, nous allons à ce village. Alice a retrouvé ses parents, mais sa sœur jumelle est toujours portée disparue. On espère pouvoir y trouver des indices. Elle était comme elle, mais elle avait les cheveux blancs et― »

― « Je vois, » l’interrompit Dornick, comme s’il avait déjà perdu tout intérêt pour les deux filles. Interloquée, elle lui jeta un regard rempli de confusion, un peu choquée par ce changement soudain d’attitude. Fronçant des sourcils, elle s’acharna sur son plat, se promettant de ne pas le servir pour lui faire la morale.
Mais évidemment elle oublia vite fait son intention d’impolitesse, sans toutefois oublier sa petite rancune envers lui.

― « Il ne me remercie jamais, celui-là! Quelle chance qu’il ne soit pas riche, s’il avait des serviteurs, je les plaindrais tous! » rechigna-t-elle tout bas à Alice, lorsqu’elles s’installèrent à table. Dornick préférait manger à son bureau. La jeune femme soupira, puis prit un air plus sérieux. « J’hésitais à t’en parler, mais que comptes-tu faire pour Heldalf? Est-ce que tu veux rejoindre ce Rokurou et cette Velvet pour combattre avec eux, ou tu comptes l’éviter pour de bon? »

Terra eut un sursaut en se rappelant de la condition d’Alice. Elle avait complètement oublié! « Je suis désolée, j’avais complètement oublié! » s’excusa-t-elle, se sentant affreusement gênée, au point d’être proie à une certaine angoisse. Elle ne voulait du tout pas qu’Alice se sente mal à cause d’elle! Cet échange attira l’attention de l’elfe, qui se leva pour s’approcher de la table, au grand sursaut de Terra qui lâcha un petit cri lorsqu’elle le vit à ses côtés.

― « Vraiment? C’est étrange; la plupart des deamons ont l’appétit. Ceux qui vivent en société mangent, et les animaux démonisés ont une faim insatiable, » expliqua-t-il, au grand étonnement de Terra. Est-ce que la condition d’Alice lui était unique? « C’est vrai que les effets de la malveillance sont différents d’une personne à l’autre… Fascinant, » laissa-t-il tomber, de manière un peu trop détachée, comme s’il parlait en tant qu’érudit à propos d’un objet d’étude. Terra fronça des sourcils, plus qu’agacée par ce manque de délicatesse de la part de l’elfe.

― « Elle demande si elle est condamnée à vivre ainsi, » lui reprocha-t-elle d’un ton grave. Celui-ci haussa des épaules, comme si c’était la dernière de ses préoccupations.

― « Qu’est-ce que j’en sais, je n’ai jamais encore vu de deamons guéris de leur condition et redevenir des êtres humains. Pourquoi, après tout, pensez-vous que les gens en ont peur? Ils considèrent cela comme une maladie incurable. »
― « Vous voulez dire qu’il n’y a rien à y faire…? » demanda Terra, en baissant la tête, se sentant soudainement triste par cette perspective. Le fait que cela venait de Dornick semblait lui faire croire qu’il était bel et bien impossible de changer Alice.
― « Moi, non. J’ai beau eu chercher, je n’ai rien trouver. Qui sait, peut-être que quelqu’un dans ce monde sait comment les retransformer en humain, mais ce n’est pas moi, » se défendit Dornick, pour ensuite retourner à son bureau, n’ayant plus rien à rajouter à cette conversation. Terra, la mine toujours défaite, perdit peu à peu son appétit, puis se rendit compte qu’Alice n’avait pas répondu à ses questions.

― « Alors… que vas-tu faire? »

― « Je suis sûre que le groupe de Velvet t’accepterait sans aucune réticence, » déclara Terra en toute innocence, ne voyant pas comment ils pourraient la refuser. « Mais je suis d’accord pour l’éviter. Au moins, tu sais que tu peux compter sur eux pour t’aider à te défendre contre lui, mais c’est vrai que tu n’es pas obligée de les aider à le battre. Et puis je suis sûre que si tu leurs expliques ce qui t’es arrivée, ils comprendront, » ajouta-t-elle avec un sourire plein de bonté. Elle devait avouer qu’elle avait aussi un peu oublié le vieil homme, car elle avait pensé à y aller uniquement après avoir fini ce qu’elles avaient à faire à Sylvarant, mais en y songeant, elle se demanda si celui-ci n’aurait pas lui aussi des indices pour elles. Après tout, peut-être qu’il avait connu le village? Mais il semblait quelque peu déconnecté de la réalité… Enfin, cela ne leur empêchait pas d’aller lui demander. Cela dit, elle préférait aller au village en premier, afin de ne pas être trop distraites dans leurs recherches. Après tout, si les craintes d’Alice s’avéraient vraies, elles risqueraient de ne pas être capables de se rendre au village avant un long moment.

― « Allez, reposons-nous pour que nous soyons bien en forme demain. D’après ce que Dornick disait, on risque d’y retrouver beaucoup de deamons dans ce village! »
― « Je vais vous accompagner, » déclara l’elfe d’à partir son bureau, à la grande surprise des deux jeunes femmes. Terra tourna la tête vers lui, comme si elle avait rêvé ou mal entendu ce qu’il avait dit.
― « Vous… vous êtes sûr? » demanda-t-elle, comme si elle craignait de devoir le supporter toute la journée demain.
― « Je suis un peu curieux par cette affaire, » déclara-t-il platement.
― « Mais… ne m’aviez-vous pas dit que ce village était empli de malveillance? N’avez-vous pas peur de vous transformer en un deamon? »
― « Et vous, mademoiselle? » répondit-il, droit au but, en plongeant son regard dans le sien. Intimidée, elle baissa les yeux. « Si vous y allez, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas y aller, » termina-t-il, replongeant aussitôt son attention dans son ouvrage, tandis que Terra gardait la tête baissée, n’osant pas répondre. Elle voulait répondre que vu qu’elle n’était pas humaine, elle se fichait de cette malveillance, mais cela n’allait rien apporter à cet argument.

― « Bon eh bien… je vais aller me coucher… » marmonna Terra en se dirigeant vers sa chambre.

Le lendemain matin, les deux jeunes femmes se réveillèrent pour voir que Dornick n’avait toujours pas changé d’idée. Terra prépara un déjeuner pour elle-même et l’elfe, sans échanger beaucoup de mots. Après leur repas, ils se préparèrent à quitter les lieux pour le village. Comme elles n’étaient pas vraiment au courant de la typographie de la région, Dornick fut leur guide. Il ouvrit la marche, comme s’il était bien confident et déterminé, presque pressé de s’y rendre. Au grand soulagement de Terra, aucun homme n’était sur le chemin pour les attaquer. Cela dit, elle avait un pressentiment qu’ils allaient les attendre au village; après tout, ils étaient des deamons…

Après quelques heures de marche, où Dornick se tenait à une certaine distance des deux filles, il s’arrêta, puis pointa droit devant lui. « Voilà, c’est le village qu’on dit maudit. Vous pouvez déjà y voir des deamons au loin, » expliqua-t-il, en faisant référence à des oiseaux deamons qui volaient par-dessus le village. Terra en profita alors pour se retourner vers Alice.

― « Est-ce que tu reconnais quoique ce soit, d’ici? Ça te dit quelque chose, cette… vue? »