Annexe : Trouble en ville (Terminée)

Richard passa une main sur son menton, en profonde réflexion, ne se retournant même pas vers Shella pour constater son état. Certes, ils avaient maintenant plusieurs options. Mais Richard ne pouvait pas s’éterniser ici, et il voulait voir la fin de cette enquête. Il voulait pouvoir garantir la sécurité de ces marchands en personne, et il hésitait à s’en remettre à la garde. Il gardait ces réflexions pour lui, mais le roi ne faisait pas entièrement confiance en la garde. Il savait que son amie serait fâchée si elle pouvait lire ses pensées, mais Richard ne serait pas surpris s’il apprenait que ce Yorrick avait des alliés dans la garde. Il n’était pas rare de voir des gardes corrompus, et il ne serait même pas surpris si les gardes qui s’occupaient de la surveillance de cet appartement seraient dans la mèche aussi. Il était si facile d’acheter des gardes corrompus… ça serait d’ailleurs une idée. L’autre option qui s’offrait à eux serait de pousser leur interrogatoire, mais Richard avait un doute quant à ce choix.

― « Je suppose que ce Yorrick, tu ne l’as jamais vu en personne? »

Le jeune vaurien dévisagea le roi, mais ne put soutenir son regard trop longtemps. Il baissa les yeux, un peu comme honteux.

― « Non. C’est un réseau. On sait pas où il se trouve. On reçoit nos lettres par pigeon voyageur, je pense. »

― « Tu « penses » ? »

― « Je ne le sais pas, c’est pas moi qui les reçoit ces ordres! On me dit quoi faire et quand je retourne à la maison, l’argent est sur ma table, ils savent où j’habite, pitié! »

― « Et dis-moi, comment sais-tu pour qui tu travailles si tu ne sais même pas comment tu reçois tes ordres? Essaies-tu de me mettre sur une fausse piste? »

― « Elle, elle l’a dit, non? Elle l’a dit que le nom est valide, non? » s’écria le voyou en pointant Shella. Richard l’avait suivi du doigt, et avait alors remarqué que le bras de Shella était endommagé. Saignait-elle? « E-et c’est lui qui l’a dit comme un pauvre con, c’est lui le chef de notre équipe! » s’écria-t-il ensuite pour pointer l’homme au couteau, solidement assommé. « Il a toujours des plumes sur ses vêtements et à chaque fois qu’il nous donnait des ordres, j’entendais des pigeons! »

Eh bien, voilà qu’ils étaient bien avancés. Leur meilleure piste était dans le coma, ce qui était assez gênant. Richard ne voyait pas ce qu’il pouvait tirer de ce jeune vaurien, croyant avoir fait le tour de la question avec lui. Il voulait aller voir l’appartement de ce Yorrick et questionner les gardes qui se chargeaient de cette enquête, mais en premier lieu, il voulait s’assurer que Shella se portait bien.

― « Montre-moi ton bras, » demanda-t-il à l’androïde, alors qu’elle appliquait une main sur sa blessure.

Richard fronça des yeux en voyant le sang couler le long du bras de Shella. Il devait s’avouer étonné qu’elle puisse saigner, la sachant androïde. Il ne connaissait pas grand-chose sur la conception de Shella, mais elle semblait toujours plus humaine que lui. Elle n’était pas obligé de respirer, de manger, de dormir, mais elle semblait toujours vivre plus d’émotions que lui. Il fallait croire qu’après avoir vendu son âme à Lambda, il avait perdu toute son humanité…

Il se ressaisit. Il défit son foulard qu’il nouait à son cou, puis le serra autour de la blessure de Shella, pour que le sang arrête de couler. Bien qu’il en avait aucune idée si la pression allait aider, si elle saignait comme une humaine, elle allait probablement arrêter de saigner comme une. Il se demandait si c’était bel et bien du sang, si c’était un liquide aussi vital pour les humains que pour elle, mais il se disait aussi qu’il ne voulait pas la voir saigner à mort.

― « Eh bien… J’espère qu’il va se réveiller bientôt, celui-là, » commenta-t-il en poussant du pied Devdan. « Après tout, il doit informer son chef non? Ou est-ce que leur patron assume qu’ils ont échoué s’ils ne déclarent pas leur succès? » Le roi s’agenouilla auprès du voyou, tentant de trouver des indices dans les poches de celui-ci. Il réussit à trouver un rouleau de papier. Il le déroula rapidement, y voyant deux-trois adresses inscrites dont celle de ce marchand. Ce ne devait pas être étonnant… mais Richard n’était pas sûr que cela en constituait vraiment un indice. C’était sans aucun doute d’autres marchands qui ne savaient pas pourquoi ils étaient harcelés, que Shella devait sans aucun doute avoir dans ses dossiers.

― « On pourrait aller voir ces adresses, » dit-il à Shella et Asuran, donnant le papier au vagabond, « mais je suis plutôt intéressé par où vous vous tenez normalement pour recevoir ces ordres, » ajouta-t-il, en regardant avec insistance le jeune voyou qui était encore alerte, comme s’il lui suggérait une réponse.

Richard en était lui-même étonné qu’une seule adresse soit écrite par la main de Yorrick, comme si toutes les autres adresses avaient été des distractions. Est-ce que ce Devdan était plus intelligent qu’ils ne le pensaient? C’était probable… Richard devait pourtant le savoir qu’il ne fallait pas se fier aux apparences!

― « Filons vite! »

Le trio se dirigea vers l’adresse, guidé par Shella. Ils arrivèrent devant une maison dans un des quartiers riches de la ville, comme s’il n’y avait aucune connexion apparente avec les autres. Bien n’en fasse, Richard cogna à la porte avec un sentiment d’urgence. Un homme aux traits tirés vint leur ouvrir, comme s’il était épuisé.

― « Vous êtes le propriétaire de cette maison? »
― « Oui, mais qui êtes-vous? Je ne vous connais pas, » répondit l’ancien garde en dévisageant le trio. Asuran n’avait pas l’allure du quartier, Richard semblait d’une caste encore plus élevée, mais ce fut Shella qui le troubla le plus, comme s’il la reconnaissait.

― « Nous sommes là pour vous protéger, nous savons que vous êtes sur la liste de Yorrick! »

L’ancien garde blêmit, puis claqua la porte à leur nez. « Je ne vous connais pas! Partez, sinon j’appelle la garde! » leur cria-t-il à travers la porte, avant de s’en éloigner.
― « Parfait, on reste ici alors! » lui répondit le roi, avec une pointe d’humour. Impossible de soutirer de l’information de cet homme, et Richard ne pensait pas qu’appeler la garde pour la sécurité de cet homme soit la meilleure option, surtout si les deux personnes impliquées dans cette affaire étaient d’anciens gardes. Le roi recula, puis observa la maison; il voyait une fenêtre ouverte à l’étage. L’homme ne devait pas se sentir si persécuté que cela.

― « Il y a quelque chose qui cloche. Asuran, vous pouvez essayer de voir ce qui passe là-dedans? Je préfère avoir Shella ici au cas où des vauriens arriveraient, et je me crois mieux placer pour faire l’échelle, » demanda-t-il au vagabond, pointant la fenêtre. Si le roi l’aidait, le vagabond ne devrait pas trop avoir de misère à rentrer. C’était un peu extrême, mais prendre au piège ce garde allait être la meilleure façon de faire avancer cette énigme, car il était possible que les vauriens se fassent attendre longtemps.

― « Shella, tu ne vois rien d’étrange, aucun indice? » demanda-t-il à son amie, qui pouvait analyser les environs. Il ne semblait pas y avoir de traces de combat par ici, surtout pas dans un quartier riche. Mais qui sait, peut-être que l’androïde allait trouver de quoi?

Après avoir suivi le marchand dans son salon, Asuran expliqua vite fait ses découvertes au roi. Apparemment, cette maison servait d'entrepôt, et il était de mèche avec quelqu'un. Tout s'expliqua alors dans l'esprit de Richard, qui en roula même les yeux au ciel. Qu'est-ce que c'était stupide comme jeu! Certes, il y avait encore quelques points à éclaircir, mais il supposa qu'ils n'allaient pas tarder à le faire.

― « Non, pas besoin d'expliquer, c'est assez logique, » déclara Richard, à la surprise du marchand qui en semblait déstabilisé. « Vous agissez comme entrepôt pour Yorrick de toute évidence. Et pour que les affaires fonctionnent, vous intimidez des marchands. J'imagine que vous avez un réseau dans les quartiers plus pauvres où ces marchands vous donnent tous les profits qu'ils font et vous chassez les autres pour éviter la compétition, ce qui normalement vous rapporterait le plus d'argent possible. Avec suffisamment de pression, les marchands qui ne sont pas reliés à votre réseau abandonnent, et vous monopolisez le marché. Très illégal, juste pour cela, vous méritez la prison. »

Le marchand blêmit, mais ne semblait pas trop choqué, ce qui ne surprit pas Richard. « Et évidemment, vous avez des alliés au cas où vous vous feriez prendre au piège. Je suppose que Yorrick vous a dit que si jamais les choses allaient mal, il vous protégerait? Ne vous inquiétez pas, j’ai une prison spéciale juste pour les gens comme vous qui savent acheter leur liberté, » sourit Richard d’un air malfaisant, juste pour jouer avec les nerfs du marchand. D’ailleurs, celui-ci bondit de son siège, horrifié.

― « Vous n’avez pas le droit de faire cela! J’exige d’être jugé selon la loi Tesseha’llienne! Je ne sais pas d’où vous venez, mais vous n’avez aucune autorité sur moi! » hurla le marchand, piqué au vif, ne semblant pas être en mesure de contrôler ses émotions.
― « Vous non plus, » répliqua d’emblée Richard, ce qui cloua le bec au marchand. Celui-ci retourna s’asseoir, visiblement contrarié.
― « D’ailleurs qui êtes-vous? Vous êtes ses hommes, c’est ça? Comment avez-vous pu trouver mon adresse!? »
― « Oh on l’a juste trouvé sur ce bout de papier, ça venait de… hum… c’était quoi le nom? Devdan? »

À la surprise du roi, le marchand ne réagit pas à ce nom. Eh bien, on lui préparait bel et bien une surprise? Il fallait croire que cet homme avait fait quelque chose qui a déplu à Yorrick. Mais les autres hommes n’étaient pas au courant… Pourquoi donc?

― « Écoutez, je ne voulais pas faire cela. Je voulais juste vivre une vie paisible et bien tranquille! Ce, c’était l’idée à Yorrick, tout cela! On se faisait pas d’argent, il m’a dit qu’il allait s’occuper de tout, je ne sais même pas où il est, je n’ai rien pour vous! » paniqua le marchand, tenta désespérément de se débarrasser du trio, souhaitant qu’ils aillent voir ailleurs si Yorrick s’y trouvait.
― « Et donc Yorrick va maintenant s’occuper de vous, » réfléchit Richard tout haut, sans aucun tact. Le marchand le regarda d’abord avec un air incompréhensif, ne voyant pas pourquoi le roi prenait ce ton, puis il réalisa ce qu’il voulait dire et devint blanc comme neige. Le roi se leva de sa chaise, bloquant le passage au marchand afin qu’il ne déguerpisse pas à l’instant même.

― « Vous avez son numéro, n’est-ce pas? Appelez-le. Je suis sûr que vous pouvez trouver une bonne excuse pour le faire venir ici, » ordonna-t-il au marchand. Celui-ci le dévisagea, hésitant, puis figura que sa vie valait plus que sa fortune immorale, et se dirigea vers le téléphone pour appeler Yorrick.

Aussitôt que le premier homme de Yorrick avança dans la pièce que Richard l’assomma d’un coup du pommeau de sa rapière. Les autres hommes s’alertèrent aussitôt, faisant alors face à Shella, qui avait l’habitude de gérer plusieurs criminels à la fois. Yorrick, comprenant alors le piège qui les attendait, se retourna pour faire face à une porte bloquée par Asuran, puisque le trio s’était préparé à la venue de Yorrick et ses hommes, s’étant caché en position pour prendre par surprise ces bandits. Dès qu’il aperçut le chef de cette organisation, le roi de Windor fonça vers lui à toute allure, voulant le neutraliser le plus tôt possible. Tandis que Shella s’occupait des hommes à tout faire, Asuran s’assura que le marchand ne s’enfuit pas, afin que le trio ait tous les éléments nécessaires à leur petite enquête. Le noble blond plaqua Yorrick à terre, et après quelques minutes de débattement, le roi établit sa supériorité sur le bandit, le gardant au sol avec la force démoniaque de son bras gauche.

― « Yorrick! » s’écria Richard, l’air mauvais, son œil droit s’illuminant d’un rouge saignant. « Tes jours sont comptés! Tu vas devoir faire face à la justice! »

Yorrick n’avait cependant pas abandonné; il réussit à saisir une dague qu’il cachait sous sa tunique, puis poignarda le roi dans le flanc. Celui-ci hurla de douleur, relâchant sa prise, ce qui permit à l’ex-garde de reprendre le dessus. Il ressortit sa dague, tirant du même coup un autre gémissement du roi, puis tenta de le réattaquer. L’esprit possédant le corps de Richard l’avertit du coup, et son œil droit, maintenant transformé en noir avec la pupille jaune, terrifia le bandit. Yorrick s’arrêta dans son élan, et le roi en profita pour le saisir par le cou avec sa main transformée, plus grosse, mais cachée par le gant de Richard. Le roi s’apprêtait à étrangler l’ex-garde lorsqu’il vit du coin de son œil gauche son amie Shella, ce qui l’aida à reprendre ses sens. Le noble força Yorrick, tête première, à terre, et, avec l’aide de l’androïde, ramena les bras derrière son dos pour que la jeune fille lui passe les menottes. Les autres bandits étaient tous K.O.

― « Dommage, Yorrick, mais vous vous en êtes pris à un noble; je suis le roi de Windor, province appartenant à Tesseh’alla, et je suis sûr que vous savez ce qui arrive à ceux qui tentent à la vie des nobles de Tesseh’alla! » cracha Richard à son agresseur, rampant à reculant avec une main sur son flanc gauche, appliquant de la pression sur sa blessure. Le roi en profita alors pour regarder la scène; le marchant, blême, se tenait non loin d’Asuran, et l’aide de Yorrick était tous à terre, dans les pommes. Ç’allait être un boulot facile pour les gardes qui allaient venir…

Richard remercia Asuran pour son aide, l’assurant qu’ils allaient s’occuper de tout. Shella appela naturellement les gardes, qui ne perdirent pas de temps à venir, étant non seulement tout près, mais les alertes dans les quartiers riches prenaient toujours la priorité, pour ne pas choquer ces « pauvres » nobles. Ce n’était néanmoins pas le temps pour lui d’être dédaigneux, car Shella avait aussi appelé du personnel médical pour s’occuper du roi. La garde s’excusa avec profusion devant le roi, un invité de Tesseh’alla, pour avoir mis sa vie ainsi en danger, mais le roi les excusa en proclamant qu’il en avait fait le choix et en assumait toutes les conséquences.

― « Toi aussi, il te faudrait des soins… » marmonna le roi, torse nu, regardant le bras blessé de Shella tandis que les infirmiers s’occupaient de sa blessure. L’un d’entre eux se retourna vers la soldate, intrigué, puis réalisa qu’elle était une androïde.
― « Ne vous inquiétez pas pour cela, Votre Majesté, nos mécaniciens vont s’en charger à la base. »

Richard en soupira de soulagement, puis fut finalement libéré, pansement au torse. « On ferait mieux de se pousser de là, on va choquer ces chers citoyens avec toutes ces tâches de sang, » ironisa-t-il en examinant ses vêtements souillés. Il accompagna son amie à sa base, puis la salua. « Tes réparations risquent de prendre beaucoup de temps, et je dois retourner dans mon royaume. Je t’enverrai des nouvelles une fois que je serai rentré! » lui dit-il avec un sourire avant de la laisser aux soins des techniciens, pour ensuite quitter la ville.