Épisode 010 : Alice en Danger [Terminé]

Rokurou ne s’était toujours pas remis de sa défaite contre Shigure.

Cela pouvait paraître étonnant de sa part, étant un homme après tout simple, facile à vivre, presque insouciant. Pourtant, ce que les gens ne savaient pas, c’était que Shigure était la raison pour laquelle Rokurou était devenu un monstre de guerre. Sa vie entière était dévouée à tuer son frère, à prouver qu’il était aussi compétent que lui, et même plus. Toute sa vie, il avait perdu contre son idole, et celui-ci, après avoir réussi à prendre la tête du clan, s’était envolé, comme si toutes leurs traditions ne valaient rien. Et le pire, c’est que peu importe ce qu’il faisait, Rokurou perdait tout le temps.

Il n’était pas un homme faible.

Il ne voulait pas être un homme faible.

― « Oulà, ça pue la noirceur par ici… » commenta Magilou d’un ton dédaigneux, ce à quoi Rokurou répliqua d’un regard enragé. Le samouraï ne prenait aucunement la parole, n’était même pas conscient de ce qui se passait, trop préoccupé par ses pensées malveillantes. Il ne savait pas vraiment où il était, ni où ils allaient, ni même pourquoi il les suivait. Tout ce qui le préoccupait en ce moment, c’était de trouver un moyen de surpasser Shigure une fois pour tout. Ç’avait été sa dernière humiliation― il fallait que ça soit sa dernière humiliation.

Ne se rendant pas compte qu’il générait une aura malveillante, il regarda les invités rentrer un à un, les dévisageant d’un regard meurtrier. Si normalement il était un homme bien amical et blagueur, il n’avait à ce moment aucunement l’intention de faire bonne impression. Il ne connaissait aucune de ces femmes, ne reconnaissant qu’une seule ― celle qui croyait qu’Alice était encore sous l’influence d’Heldalf. Normalement, il se serait porté à la défense de celle-ci, mais en ce moment, il n’était aucunement d’humeur pour faire du social. Il était ici uniquement parce qu’il avait une dette envers Velvet; le reste, il s’en fichait. Heldalf? Peu importe. Si c’était un entraînement pour devenir meilleur, soit, tant qu’il trouvait un moyen de battre Shigure une fois pour tout.

Le roi avait été songeur pendant le voyage de retour. Bien qu’il savait que la malveillance pouvait surgir n’importe où, jamais il n’aurait cru qu’elle aurait pu faire une présence aussi désastreuse. Et dans un continent inconnu! Il devait saluer le courage de Leona; partir à l’étranger ainsi, alors qu’une menace subsistait chez elle. Il comprenait cet acte de bonne foi. Lui-même devait faire ainsi, laissant son peuple sous l’emprise de Tesseha’lla, sous l’exploitation d’une compagnie égoïste. Il devait même mettre de côté son aversion pour l’empire tesseha’llan, celui de Heldalf étant beaucoup plus préoccupant. Ah! Qu’est-ce qu’il avait hâte de retourner à Leonin! Il devait y avoir des indices, des traces, une explication! Et non, il ne pouvait se satisfaire que d’envoyer des hommes au front, à leur mort. Comment pourrait-il? Non, il devait y aller par soi-même, il devait risquer sa vie s’il le fallait. Il devait faire quelque chose de concret, sinon, il n’était pas mieux que ces hommes qu’il répugnait.

Richard avait déclaré vouloir écouter les rapports de cette Noire sur Heldalf, prêtant son allégeance à leur groupe contre Heldalf, mais il était surtout concerné par l’état d’Azura. Son don étant précieux et mystérieux, il ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour elle. Elle était leur flambeau, leur lueur d’espoir ― ou du moins, pour lui. S’il pouvait redevenir un humain, être purifié de sa colère, il allait s’accrocher à tout espoir et le protéger de tout son être. Heureusement, son état s’améliora le lendemain, comme si cela n’avait été qu’un malaise passager. Pourtant… le roi ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Sûrement cela avait été la première fois que cette dame devait purifier autant de malveillance. Personne n’avait vu autant de malveillance auparavant.

― « Des pirates? » ne put s’empêcher de s’étonner Richard, en suivant son groupe au restaurant. Même s’il ne les connaissait pas personnellement, il était au courant qu’un groupe de fugitif s’était évadé de Titania, une première de l’histoire. Il pouvait aussi clairement ressentir leur malveillance ― surtout de celle qui semblait être leur chef et d’un homme de son âge. La jeune fille à leurs côtés était elle aussi une deamone mais elle semblait bien plus calme que ces deux individus. Et la dernière personne… n’était pas une deamone. Il y a un dragon parmi eux… chuchota Lambda dans son esprit. Richard leva un sourcil en surprise en regardant une jeune femme habillée de blanc et à la chevelure bleue. En effet, elle ne semblait pas faire partie d’une société qu’il connaissait… Vraiment, une dragonne? Même les créatures mystiques s’impliquaient dans ce combat contre la malveillance? Il se rendait compte que cela devait être une évidence, mais ce fut tout de même un choc pour lui.

― « Je vois que nous sommes un groupe assez large. Permettez-moi de me joindre à vous; je suis le roi Richard de Windor, un royaume qui fait maintenant parti de Tesseha’lla… Shella me connait très bien, ainsi que mes compétences. Ne me traitez pas comme de la royauté, je vous en prie, je sais me battre et je vais me battre contre ce Heldalf! »

Alvin se fit discret dans leur retour. Si Rinko aurait cru que le mercenaire se serait amusé avec Naomie pendant le voyage de retour, il s’était trompé. Le beau brun devait rédiger un rapport avant de mettre pied à terre. Et… il devait se reprendre en main. Retrouver sa voie.

Ce combat à Leonin l’avait bouleversé. Sa rencontre avec Milla l’avait déstabilisé. Non; il était déjà instable. Il n’était qu’un pion pour Gilland, sans aucun but dans la vie autre que d’espérer que sa mère retrouve la santé. Jamais il ne s’était préoccupé des autres, et c’était pour cela qu’il était un excellent espion. Si on se fichait des autres, on pouvait les trahir sans aucun remord. Alors des gens comme Richard et Milla, qui étaient prêts à mettre leur vie en danger pour sauver la moindre personne, comme si tous étaient égaux… Il n’y comprenait rien. Comment pouvaient-ils? Comment pouvaient-ils faire face au danger ainsi? Et ce n’était même pas pour un profit ou pour une nation. C’était pour le monde entier. Pour leurs ennemis aussi.

Oui, Alvin voulait bien que Tesseha’lla devienne plus fort, mais pas au point de se jeter dans la cage aux lions! Il était bien capable de vivre d’air pur et d’eau fraîche, il ne voulait pas risquer sa peau et devenir un deamon! Et les esprits disparaissaient? Ils mourraient? Ils pouvaient être corrompus? Milla voulait sauver tous les êtres vivants, Richard voulait protéger tous les humains, mais lui… qu’est-ce qu’il en avait à foutre des gens? Sa mère crevait à petit feu et lui, il devait se sacrifier pour le bien être du plus petit facteur commun?

― « Je vois. Cette Maxwell te fait confiance alors? » demanda son oncle, après qu’il eut fini son rapport sur à la fois Leonin et Milla.

― « Il faut croire… » répondit-il bêtement, d’un air complètement ennuyé. Son aîné le toisa du regard, de haut, comme Alvin le haïssait tellement.

― « Bien. Noire l’a convoquée à un meeting dans un restaurant. Nous te transmettrons l’adresse. Soit à l’heure. »

Le mercenaire se décolla du mur, sourcils froncés, interloqué. « Si Noire y sera, pourquoi je dois y être? »

― « Elle et Shella sont des androïdes. Ce sont des objets qui nous servent. Je veux que tu établisses un lien de confiance avec cette Maxwell. Elle veut protéger les humains, non? Elle ne voudra pas protéger des serviteurs, » répondit Gilland sèchement en lui faisant dos.

Alvin ne répliqua pas. Il lui fit pareillement dos. Alvin quitta sans demander son reste. Le plus loin qu’il était de Gilland, le mieux qu’il se portait.

Il ressentait Milla.

Un texte l’avertit du restaurant où Noire avait donné rendez-vous à ses invitées. Il connaissait l’établissement. Il n’eut pas de mal à le retrouver. Il eut cependant une surprise lorsqu’il y entra; il y avait beaucoup plus de gens qu’à quoi il s’attendait. S’il reconnaissait les gens avec qui il avait voyagé, il ne pouvait s’empêcher d’être étonné de les voir ici. Enfin, il supposa qu’étant sa subordonnée, Shella devait suivre Noire… et où Shella se trouvait, Richard y était. Tout de même; n’était-il pas un roi? N’avait-il pas des sujets à gouverner? Laissait-il vraiment tout aux bras de ses ministres pour pouvoir aller jouer aux héros ailleurs? Quel imbécile!

― « Je t’ai manqué? » blagua Alvin en se glissant aux côtés de Naomie, tapotant sur la tête de Rinko pour ensuite gratter sous son menton. Avec un petit sourire en coin pour la jeune fille, il dévia son regard pour observer qui était les inconnus. Milla y était, mais ce n’était pas une surprise. Il y avait quelques femmes dont il n’en avait aucune idée de l’identité, ainsi qu’un groupe de pirates. À la vue de ces individus, il haussa un sourcil. N’était-ce pas les pirates qui s’étaient échappés de Titania? Étonnant… Là, il devait dire qu’il ne regrettait pas d’être venu ici. Même si ― oulà, ils n’étaient que trois hommes ici? ― ce troisième homme semblait capable de tuer quiconque avec son regard seulement, il était sûr que ç’allait être toute une expérience que de côtoyer des pirates deamons.

― « Tiens, c’est vrai ça, » s’étonna Alvin suite à la remarque d’Azura, « Tu es notre source d’informations? On aura pas besoin d’infiltrer? » blagua-t-il en regardant la jeune fille en noire, qui avait été reconnue coupable d’allégeance à Heldalf. Même s’il avait entendu dire que Velvet et ses compagnons avaient été faussement accusés, il savait que cette Alice avait proclamé d’elle-même être une soldate de Heldalf.

― « Non! »

Suite aux remarques passées, une jeune femme à la chevelure verte se précipita devant Alice, comme pour la protéger. Défi au regard, elle dévisagea les gens qui se portaient contre son amie.

― « Heldalf l’a manipulée! Alice n’est pas une criminelle! » plaida Terra, prête à la défendre. Elle regarda tous les gens présents d’un air féroce, ce qui pouvait paraître loufoque vu son physique innocent. Elle repéra Magilou, qui se tenait un peu à l’écart, comme si elle analysait la scène en se délectant des tensions qui surgissaient, puis la jeune hybride la pointa du doigt.

― « Vous étiez là! Vous l’avez aidée! Vous l’avez sauvée de l’emprise du seigneur des calamités! »

La sorcière eut un hoquet de surprise, ne s’attendant pas à se faire pointer du doigt ainsi, puis eu une moue et se retourna, les bras derrière la tête. « Peut-être, qu’est-ce que j’en sais! »

Terra fronça des sourcils, puis se retourna vers Alice avec un regard plein de compassion et d’empathie. « Tu vas bien Alice? Où est ta sœur? » demanda-t-elle, inquiète. « Je me suis fait beaucoup de souci pour toi… »

La jeune femme détourna la tête pour regarder les compagnons de Magilou ― la seule qu’elle connaissait. La jeune femme en blanche ne semblait pas trop méchante, mais celle à la chevelure noire et l’homme semblaient particulièrement malfaisants. N’était-ce pas là Rokurou, l’homme qu’Alice parlait en bien? Il semblait le pire de toute la salle! Terra n’était plus trop sûre si elle voulait laisser Alice près de ces gens.

― « Je suis tout de même étonnée de te voir ici! Quelle coïncidence! Dornick m’a dit qu’il y avait des recherches sur les esprits par ici, alors… » expliqua Terra, en laissant sa phrase en suspension. La jeune femme espérait trouver de l’information sur ses origines ici, mais elle s’était rendue compte que cela n’était pas aussi simple que cela pouvait l’être. À Sylvarant, ville plus connectée à la nature, même s’il y avait une méfiance générale, les gens pouvaient répondre à vos questions. Ici, tout le monde était trop occupé, trop centré sur sa petite personne, trop perdu dans leur bulle. Personne ne voulait l’aider. Heureusement qu’elle avait vu Alice rentrer dans cet établissement!